Les débats

Affaires étrangères et coopération
Jean-Marie Bockel 25/02/2014

«Débat d՚autorisation de prolongation de l՚intervention des forces armées en République centrafricaine»

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, face à la spirale de l’affrontement et de la violence entre les rebelles de l’ancienne Séléka et les groupes d’auto-défense « anti-balaka », la communauté internationale se devait de réagir en Centrafrique. C’est dans cet esprit de responsabilité que la France a lancé l’opération Sangaris, dans le cadre de la résolution 2127 du Conseil de sécurité de l’ONU. Depuis lors, les soldats français, dont je tiens à mon tour à saluer l’engagement, œuvrent avec courage et détermination aux côtés des forces africaines pour rétablir un niveau minimal de sécurité. Cependant, près de trois mois après le début de l’opération, force est de constater que la situation sécuritaire reste particulièrement fragile à Bangui et plus encore en province, entraînant l’exode de nombreuses familles centrafricaines. L’environnement de crise complexe rend par ailleurs la conduite de l’opération malaisée. En effet, comment identifier des ennemis infiltrés au sein même de la population ? Comment désarmer des rebelles dont les atrocités sont souvent commises à la machette ? Alors que le président Hollande avait initialement évoqué une opération « rapide » en RCA, Jean-Yves Le Drian a annoncé que celle-ci serait plus longue que prévu, en raison du « niveau de haine et de violence ». S’agissant de l’anticipation de cette situation, je m’associe aux questions soulevées à l’instant par Jacques Legendre. Certes, le groupe de l’UDI-UC souscrit à cette nécessaire adaptation à la réalité du terrain et apportera très majoritairement, dans une démarche d’union nationale, son soutien à la prolongation de l’intervention. Il n’en demeure pas moins que l’engagement de nos forces armées, ainsi que la situation en RCA dans son ensemble, se heurte à certains défis, auxquels il est urgent d’apporter des réponses pour sortir durablement de la crise. Vous l’aurez compris, à l’heure de se prononcer sur la poursuite de l’opération Sangaris, ce sont donc les interrogations qui prévalent. Tout d’abord, la question des moyens se pose. Pour faire face à une situation sécuritaire volatile, le processus de désarmement, démobilisation, réintégration – DDR –, la réforme du secteur de sécurité et le respect de l’embargo sont prioritaires. Or il semble évident que les forces françaises et la MISCA sont sous-dimensionnées pour atteindre ces objectifs. On considère par exemple qu’un rapport d’un soldat pour soixante civils est nécessaire pour les missions de DDR. Dans le cas de Bangui, il faudrait dans l’absolu près de 20 000 hommes pour mener efficacement une campagne de désarmement. Le secrétaire général de l’ONU réclame quant à lui le déploiement rapide d’au moins 3 000 soldats supplémentaires… Monsieur le ministre, alors que le Président de la République a décidé d’envoyer 400 soldats en renfort, portant notre contingent à 2 000 hommes, quel est votre sentiment sur ce rapport de force ? Les soldats français seront-ils en mesure de se déployer progressivement en province, notamment vers les villes de Berbérati, Bouar et Bossangoa, où la présence militaire reste encore limitée ? Sommes-nous finalement encore capables de mener ce type d’opération, qui nécessite d’importants moyens humains et logistiques, compte tenu des tensions capacitaires qui apparaissent au sein de nos armées ? Dans ce contexte, nous ne pouvons que nous réjouir de l’envoi d’une force européenne d’environ 1 000 soldats. Alors qu’Eurfor-RCA devrait contribuer à sécuriser Bangui, nous appelons désormais les États membres à faire preuve de responsabilité lors de la conférence de génération des forces, pour permettre le déploiement de l’opération au plus vite. Quid également d’un soutien européen au système judiciaire et pénitentiaire centrafricain, à travers l’envoi de gendarmes, d’experts et de professionnels ? Au-delà de l’engagement des forces françaises et européennes, la stabilité de la RCA est avant tout un enjeu régional. Avec une superficie de plus de 600 000 kilomètres carrés et 4,6 millions d’habitants, ce pays est un carrefour de l’Afrique dont la porosité profite aux groupes armés en tous genres. De la stabilité de la RCA dépend la stabilité du cœur de l’Afrique. Il suffit de regarder la carte pour le comprendre ; celle-ci figurait il y a quelques jours dans un grand quotidien et elle est extrêmement parlante. L’« africanisation » du conflit en RCA passe ainsi par un renforcement de la MISCA, qui devrait atteindre le seuil de 6 000 hommes sous la bannière de l’Union africaine. C’est surtout de matériel – et plus particulièrement de capacités de transport – que la MISCA a besoin pour projeter ses troupes sur l’ensemble du territoire. Plus globalement, la crise en Centrafrique rappelle avec force que la mise en place d’une véritable architecture de paix et de sécurité africaine demeure essentielle pour que l’Afrique puisse contribuer activement à la sécurité du continent. À la suite du conflit malien, l’Union africaine a d’ailleurs annoncé la création d’une capacité africaine de réponse immédiate aux crises, à laquelle la France a apporté son soutien lors du dernier sommet de l’Élysée. Ce dispositif, qui repose sur le volontariat, vise à améliorer la réactivité des forces africaines en situation de crise, grâce à la mobilisation d’une capacité de projection pouvant être déployée sous dix jours. Si certaines réticences subsistent, une dizaine de pays africains se sont déjà portés volontaires pour y participer. Cette initiative, certes en devenir, mérite d’être saluée, car elle va dans le bon sens, à savoir la gestion par les Africains de leurs problèmes sécuritaires, démarche indispensable à terme et à laquelle nous devons déjà réfléchir pour les années à venir. Néanmoins, seule l’ONU possède aujourd’hui l’intégralité des instruments de gestion de crise pour proposer une réponse globale, coordonnée et cohérente à ces conflits complexes. Aussi, à l’instar de ce qui prévaut au Mali, il convient de transformer la MISCA en une opération de maintien de la paix – nous en sommes tous d’accord, me semble-t-il – dotée d’un mandat robuste et élargi. La gravité de la situation en RCA requiert des moyens importants et de l’expertise pour accompagner la transition politique et maintenir une présence humanitaire. Monsieur le ministre, le déploiement de Casques bleus, s’il est autorisé, pourrait-il conduire, le cas échéant et le moment venu, à une diminution des effectifs militaires français présents en RCA, au profit d’un volet civil étoffé, comme l’a évoqué de manière précise et convaincante Jacques Legendre ?
Par ailleurs, parallèlement aux efforts d’interposition, il faut au plus vite enclencher un processus de réconciliation nationale. C’est un chantier considérable pour la présidente de transition Catherine Samba-Panza. Il lui appartient de créer les conditions de l’union nationale, car le facteur religieux, convoqué par les chefs de guerre, a profondément divisé les communautés, qui vivaient pourtant en harmonie dans le pays depuis des décennies. Comme l’affirme l’archevêque de Bangui, « pour avancer vers la réconciliation, chacun doit désormais prendre conscience des exactions commises par les deux camps, "anti-balaka" et "ex-Séléka". C’est pourquoi le pardon passe nécessairement par la réparation ».
Les efforts de médiation de la communauté de Sant’Egidio – celle-ci est intervenue à plusieurs reprises dans des conflits en Afrique avec une certaine efficacité, en particulier au Mozambique –, sous l’égide de laquelle a été signé à Rome en novembre dernier un « pacte républicain », pourraient faciliter la mise en place des mécanismes concrets de réconciliation, tout en établissant un dialogue politique inclusif avec les forces vives du pays. Dans le même temps, il faut s’attaquer aux enjeux plus profonds de la gouvernance et du développement, car il ne pourra y avoir de sécurité durable sans reconstruction de l’État et sans développement. L’économie centrafricaine est au point mort ; elle a beaucoup reculé d’une année sur l’autre. Ce qu’il reste des structures économiques, mais aussi les municipalités, les ONG et les associations locales ont un rôle essentiel à jouer pour relancer la vie économique et reconstruire un vouloir-vivre ensemble. Si la situation sécuritaire le permet, pourquoi ne pas renforcer progressivement la présence de l’Agence française de développement, dont l’expertise serait déterminante pour accompagner ces projets en Centrafrique ? Enfin, je souhaite revenir, avant de conclure, sur la dramatique crise humanitaire que traverse la RCA. Selon l’ONU, près d’un million de personnes ont été déplacées depuis le début de la crise, dont 60 % d’enfants. Des milliers de personnes ont également fui vers les pays voisins – Cameroun, Tchad, etc. Selon la secrétaire générale adjointe des Nations unies aux affaires humanitaires, plus de la moitié de la population centrafricaine requiert une assistance immédiate. À ce jour, les bailleurs de fonds ont promis 207 millions de dollars pour financer l’aide humanitaire en Centrafrique, mais seulement 28 % de ces fonds ont été engagés. Le plan de réponse stratégique de l’ONU, d’un montant total de 551 millions de dollars, n’est financé qu’à hauteur de 15 %. Monsieur le ministre, alors que l’aide internationale est clairement insuffisante face à l’urgence de la situation, quelles mesures la France et ses partenaires pourraient-ils mettre en œuvre pour en accélérer la distribution, notamment vers le camp de M’poko, où près de 100 000 personnes vivent dans des conditions terribles ? Les défis, qu’ils soient sécuritaires, politiques ou humanitaires, sont nombreux en RCA, et le chemin vers la paix et la stabilité sera long et exigeant. C’est en premier lieu sur les dirigeants et le peuple centrafricain que repose la lourde responsabilité d’entamer le processus de réconciliation indispensable pour sortir le pays des massacres et du chaos. Toutefois, c’est un poids que, seuls, sans le soutien des États africains et de la communauté internationale, ils pourront difficilement porter. La France, en raison de sa proximité historique et de sa place sur la scène internationale, se doit d’apporter sa contribution à cet effort de stabilisation. C’est notre responsabilité partagée. Sous ces réserves, en formant le souhait que se tienne dès que possible un nouveau débat d’évaluation de la situation, le groupe UDI-UC votera, dans sa très grande majorité, pour la prolongation de l’intervention de nos forces armées en RCA. (Applaudissements.)