Les débats

Budget
24/04/2013

«Débat sur le projet de programme de stabilité»

M. Jean Arthuis

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le programme de stabilité et le programme national de réforme sont des actes majeurs que le Gouvernement met en débat, furtivement, devant le Parlement avant de les transmettre à la Commission européenne. Actes majeurs, puisqu’ils engagent la trajectoire budgétaire jusqu’en 2017 ; actes majeurs, puisqu’ils encadrent les prochaines lois de finances et les prochaines lois de financement de la sécurité sociale ; actes majeurs, parce qu’ils décrivent les pistes de réformes qui permettent de tenir les objectifs. Dès lors, comment pouvons-nous admettre, chers collègues, que le Sénat ne puisse sanctionner ce débat par un vote ? Il y a quelques instants, Pierre Moscovici a conclu son propos en exprimant le souhait que le Sénat soutienne le Gouvernement. Toutefois, mes chers collègues, comment manifeste-t-on son soutien, sinon par l’expression d’un vote ? Certes, l’année dernière il n’y avait certes pas eu de vote, mais il n’y avait pas eu de débat non plus, en raison de l’élection présidentielle. Mais je vous rappelle qu’en avril 2011 le précédent gouvernement avait eu l’élégance et le courage de soumettre son programme au vote, ce qui l’avait conduit à ramener son hypothèse de croissance de 2 % à 1,75 %, prévision qui s’était révélée juste à l’époque. Nous entrions ainsi dans ce qu’il est convenu d’appeler désormais le semestre européen. Jusque-là, convenons-en, le programme de stabilité constituait un exercice formel, dérisoire, destiné à rassurer à bon compte nos partenaires européens, à défaut de nous rassurer nous-mêmes, fondé sur l’illusionnisme budgétaire, le volontarisme des hypothèses de croissance et, dans la plupart des cas, la sous-évaluation des dépenses. Il a fallu le séisme suscité par la crise des dettes souveraines pour changer la donne et la procédure. Désormais, la solidarité des États membres de la zone euro nous ordonne de sortir du déni de réalité. Pour des impératifs d’ordre européen, certes, mais d’abord et avant tout dans l’intérêt de la France, du redressement de notre économie et de l’inversion de la courbe du chômage. C’est dire si l’interdiction de vote constitue une humiliation pour notre assemblée ! Comment le président du Sénat et la majorité sénatoriale ont-ils pu s’y résigner ? Au-delà de la protestation que j’exprime au nom du groupe UDI-UC, je veux expliciter les deux critiques majeures qu’appelle le dispositif mis en forme par le Gouvernement, soulignant ainsi le contraste qui les différencie de nos propres options. En premier lieu, s’agissant des prévisions de croissance, nous avions cru comprendre qu’en créant le Haut Conseil des finances publiques le Gouvernement avait enfin décidé, et c’était admirable, de rompre avec la vieille et coupable pratique des prévisions volontaristes. Malheureusement, il n’en est rien. Le Haut Conseil, tout juste installé, affiche d’emblée une louable indépendance, faisant taire les suspicions qu’avait suscitées sa création. En effet, il a osé, au terme de ses analyses, déclarer que la France est, cette année, en récession. Face à ce langage de vérité, amplement confirmé par les signes que nous vérifions tous les jours dans nos départements et nos circonscriptions (M. le président de la commission des finances opine.), ― montée du chômage, procédures d’alerte, dépôts de bilan de très nombreuses entreprises ―, le Gouvernement persiste dans sa vision irréaliste. Il est vrai que la trajectoire budgétaire tend plus facilement vers la résorption des déficits dès lors que les hypothèses de croissance sont dopées artificiellement. Vous avez donc choisi, monsieur le ministre, de perpétuer des méthodes douteuses, historiquement datées, pour mieux sauver les apparences. Qui peut croire à une croissance de 2 % dès 2015 ? Pour que cela se vérifie, il faudrait mettre en œuvre des réformes structurelles qui, à la vérité, contredisent vos dogmes. Votre stratégie pour le redressement n’est pas à la hauteur de la situation dramatique de notre pays. Et cessons, je vous prie, de nous renvoyer la balle sur ce qui aurait pu et dû être accompli hier par les équipes au pouvoir (Exclamations sur les travées de l’UMP. ― M. Jackie Pierre applaudit.), qu’il s’agisse de la rigueur budgétaire, de la durée du temps de travail ou des normes. C’est vrai qu’hier, on a laissé filer le déficit public, c’est vrai qu’hier, on a oublié d’abroger les trente-cinq heures, et que l’on s’en est remis trop facilement à des usines à gaz. Donc, cessons de nous renvoyer ainsi la balle. Ce qui compte, c’est se sortir de cette crise et redonner l’espoir et la confiance à nos concitoyens. Ce que vous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre, ne peut suffire à enrayer le processus de déclin. Par conséquent, efforçons-nous de nous rassembler sur l’essentiel. J’en viens à ma seconde critique. Vos réformes sont symboliques et ne peuvent produire les effets attendus. La Banque publique d’investissement (M. Roland Courteau s’exclame.) n’est que le recyclage d’OSEO, de CDC entreprises et du Fonds stratégique d’investissement avec, en prime, une gouvernance que je qualifierai d’abracadabrantesque, ainsi qu’en témoigne son dispositif de communication et de porte-parolat. (Sourires sur les travées de l’UMP.) Et, à mon avis, on n’a pas tout vu ! (Mme Nathalie Goulet s’exclame.) Quant au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, il perpétue la complexité : sa circulaire d’application tient en une quarantaine de pages ! En effet, c’est sans doute l’illustration du « choc de simplification » prescrit par le Président Hollande. Ce CICE opère à la marge un allégement des charges sociales, très en deçà des préconisations de Louis Gallois, elles-mêmes en deçà de ce qu’il conviendrait de faire, c’est-à-dire basculer au moins 50 milliards d’euros de cotisations sociales. Un tel « choc de compétitivité » ne peut être financé que par une taxe sur les produits, y compris les produits que nous importons et que nous consommons. Pour l’essentiel, cette taxe serait non plus un impôt de production, mais un supplément de TVA. Nous commençons, enfin, à reconnaître, ici et là, que les impôts pesant sur la production poussent à la délocalisation des activités et, par conséquent, à la montée du chômage. Cette mesure, avec d’autres, permettrait de redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens et d’améliorer le sort des entreprises françaises. À cet égard, l’INSEE vient de le confirmer, les marges des entreprises n’ont cessé de baisser, à tel point qu’elles sont aujourd’hui les plus faibles des entreprises des dix-sept pays de la zone euro. Triste record pour la France ! Enfin, ceux qui nous observent et attendent le redressement de la France estiment que nos réformes constituent, certes, un pas dans la bonne direction, mais qu’elles ne suffisent pas. Tel est, parmi d’autres, le diagnostic que vient de dresser la Commission européenne, et dont vous devriez tenir compte, monsieur le ministre. Par ailleurs, pour équilibrer les comptes publics, le matraquage fiscal a ses limites. La question fondamentale est d’engager le reflux des dépenses publiques. Telle est, je le sais bien, monsieur le ministre, votre détermination, mais il va falloir le démontrer. Le Gouvernement multiplie les initiatives coûteuses. Ce matin, en commission des finances, nous examinions le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, avec le rétablissement de la scolarité à deux ans et la création de 60 000 postes d’enseignants. Voilà quelques mesures parmi d’autres ! Nous attendons de connaître le détail du moratoire sur les normes, les modalités d’abrogation des 35 heures (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.), vos arbitrages pour réduire les dépenses sociales, votre réforme des retraites, les informations précises sur les économies que vous escomptez réaliser, autant de mesures indispensables dont vous ajournez la concrétisation. C’est malheureusement la chronique d’un sinistre annoncé ! Enfin, mes chers collègues, je voudrais que l’on évite, à l’occasion de ce débat, tout réquisitoire anti-européen. Il est, bien sûr, toujours tentant dans les circonstances aussi graves que celles que nous connaissons aujourd’hui de transformer l’Europe en bouc émissaire. Le seul procès que nous pourrions lui intenter est d’avoir permis à la France de pratiquer si longtemps des déficits aussi importants sans encourir de sanction. Le redressement incontournable est, certes, un engagement européen. Mais si la France n’était pas dans la zone euro, elle serait en situation calamiteuse, catastrophique, et ce sont nos créanciers qui nous dicteraient les réformes à accomplir. Combien de dévaluations devrions-nous subir ? Quel serait alors le prix de l’énergie ? Celui du carburant ? Ce serait à n’en point douter l’explosion du chômage ! Apocalyse Now ! (M. Alain Bertrand s’exclame.) Pendant ce débat, austérité et rigueur sont les mots que le Gouvernement oppose souvent. Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, l’austérité n’est que la sanction fatale du manque de rigueur. Monsieur le rapporteur général, vous attendez beaucoup des propos qu’a tenus hier M. Barroso. Pour avoir rencontré à Berlin, avec Jean Bizet, quelques responsables allemands, je puis vous dire que la tonalité était quelque peu différente. Ne vous y trompez pas ! Le programme de stabilité nous engage. Aussi, comme tel, il devrait être légitimé par un vote au Parlement. Je regrette amèrement le dédain manifesté par le Gouvernement à l’encontre du Sénat et plus encore la docilité résignée de la majorité sénatoriale, face à ce que j’appelle « une maltraitance ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Voulez-vous dire, mes chers collègues de la majorité, que tout est fait comme si le Sénat n’était qu’une « anomalie démocratique » ?... (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) En ces temps de crise de confiance…En ces temps de crise de confiance, disais-je, l’angoisse face à la mondialisation et à l’avenir est perceptible. Le Sénat devrait être la chambre de la lucidité, du courage et de la sagesse. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Le Sénat devrait être l’espace où le jeu politicien s’apaise pour faire émerger des propositions consensuelles supra-partisanes, le lieu privilégié où renaissent l’espoir et l’optimisme sur d’autres bases que des chiffres fallacieux et des conventions de langage. (M. Didier Guillaume s’exclame.) Mes chers collègues, il est de notre responsabilité de démontrer l’originalité et l’utilité de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et sur plusieurs travées de l’UMP.)