Les débats

Santé
Hervé Marseille 23/01/2013

«Débat sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes»

M. Hervé Marseille

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat fait suite à la remise du rapport établi par notre collègue Fabienne Keller, dont je salue la qualité du travail, au nom de la délégation à la prospective. Certains pourront trouver ce rapport très préoccupant, nous préférons le considérer, au contraire, comme très encourageant. Il est encourageant, d’abord, d’un point de vue formel. Comme vient de le dire le président de la délégation sénatoriale à la prospective, ce débat est une première et valide une démarche pertinente. Au-delà de la forme, ce rapport est à nos yeux encourageant aussi pour des raisons de fond. La menace est réelle ; l’histoire des maladies infectieuses nous l’enseigne : régulièrement, un agent pathogène provoque une pandémie meurtrière. L’une des dernières en date, et des plus impressionnantes, celle de la grippe espagnole, a fait, je le rappelle, plus de morts que la Première Guerre mondiale, à peu près à la même époque. La survenue d’une pandémie majeure est, comme celle d’une éruption volcanique géante ou la chute d’une météorite tueuse, l’une des grandes menaces naturelles pesant sur l’humanité. Le catastrophisme hollywoodien s’en est d’ailleurs régulièrement inspiré, et encore récemment, avec un très bon film, Contagion, qui rend parfaitement compte des mécanismes de propagation d’un agent pathogène dans le monde moderne. En effet, et c’est là tout le paradoxe, à l’heure de l’hypertechnologie, grâce aux progrès accomplis dans la maîtrise de l’atome, en informatique, en génétique ou dans les biotechnologies, l’humanité pourrait se croire à l’abri, alors qu’elle est, au contraire, plus que jamais exposée. C’est précisément ce que démontre le rapport de Mme Keller, d’où sa dimension alarmante. Tout d’abord, les épidémies actuelles de sida, de fièvre Ébola ou de paludisme sont bien là pour nous le rappeler. Les maladies infectieuses sont à l’origine de 14 millions de décès chaque année, principalement dans les pays du Sud. Mais l’incidence des maladies émergentes a aussi augmenté de 10 % à 20 % dans les pays du Nord ces quinze dernières années. Ensuite, cela a été rappelé, les maladies infectieuses représenteraient en France 12 % des décès. Sur les dix principaux facteurs favorisant l’émergence de pandémies majeures, listés par ordre d’importance dans le rapport, neuf sont liés à l’activité humaine, plus précisément à l’évolution des sociétés, qu’il s’agisse du changement d’usage des sols, de la démographie et de la concentration urbaine, de la précarité des conditions sanitaires ou hospitalières ou même, tout simplement, du réchauffement climatique. C’est en cela que, sur le fond, le rapport nous apparaît encourageant. En effet, si l’humanité est responsable de l’essentiel de la menace, c’est qu’elle dispose aussi des moyens de la prévenir. Théoriquement, nous devrions pouvoir rester maîtres du jeu, à condition de nous en donner les moyens. Cela conduit naturellement à l’aspect normatif et décisionnel du rapport, celui qui nous concerne plus directement, nous, législateur. Or, paradoxalement, c’est là que nous manifesterons le plus d’inquiétude. En effet, si nous pouvons agir, force est de le constater aujourd’hui, nous ne sommes pas prêts à affronter une pandémie meurtrière. C’est le constat à nos yeux le plus authentiquement alarmant du rapport de Fabienne Keller. Lorsque je dis que nous ne sommes pas prêts, je ne parle même pas de contrer les facteurs pathogènes de moyen terme. Bien sûr, nous ne sommes pas prêts à lutter efficacement contre le réchauffement climatique, mais il s’agit là d’un autre débat… Je me concentre uniquement sur la capacité de notre système sanitaire à faire face à une telle menace. Pourrait-il réagir efficacement ? Manifestement, non ! Pas à l’échelon national, en tout cas. Le rapport pointe au moins trois insuffisances majeures du système de surveillance sanitaire français : l’absence d’une base épidémiologique unique, contrairement à ce qui existe en Grande-Bretagne, alors que la France est concernée au premier chef, ne serait-ce qu’en raison de ses territoires ultramarins directement exposés aux maladies tropicales ; la multiplicité des acteurs – médecins, réseaux de surveillance et agences sanitaires – ; l’insuffisante identification et capacité d’action de chacun de ces intervenants. En effet, la participation des médecins traitants à la veille sanitaire est embryonnaire. Les réseaux de surveillance et d’alerte mutualisés sont trop peu développés et l’architecture des agences sanitaires pourrait être archaïque. Concernant ces dernières, il serait envisageable de regrouper l’Institut de veille sanitaire et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé pour remettre en cause la séparation entre veille et prévention. Dans ces conditions, madame la ministre, une question s’impose : la loi relative à la santé publique, qui, nous le savons, est en préparation, abordera-t-elle ces sujets ? Sur le plan international, la situation n’est guère plus encourageante. Les institutions de la coopération européenne en la matière sont en place, mais elles n’ont qu’un rôle subsidiaire. Vous le savez, les membres de mon groupe, l’UDI-UC, appellent de leurs vœux une relance de l’intégration communautaire. Pour nous, l’Europe de demain doit aussi avoir une dimension sanitaire. Les pandémies font, hélas ! partie de notre histoire commune. Songeons seulement à la peste ! Ces pandémies font fi des frontières. Lorsqu’elles frappent, ce sont des continents qu’elles affectent. L’Europe est donc l’échelon pertinent pour une réponse efficace et coordonnée. Dans la même logique, l’échelon mondial est, bien sûr, lui aussi une clef. Or lui non plus ne semble pas prêt. L’un des enseignements les plus percutants du rapport de Fabienne Keller est de bien faire apparaître l’unicité du monde de la pandémie. Unicité du monde des hommes, nous l’avons vu, le Nord étant de plus en plus vulnérable aux pandémies naissant dans le Sud et qui l’affectent prioritairement. Il n’y a pas de sanctuaire ! Heureusement, la coopération internationale s’est renforcée récemment avec le règlement sanitaire adopté dans le cadre de l’OMS et qui a force juridique pour la quasi-totalité des États. Unicité au sein même du vivant dans la mesure où les principales menaces des maladies émergentes ou réémergentes tiennent à l’existence de zoonoses, d’où la nécessité de lier, à l’échelon mondial, médecine animale et humaine. Encore une fois, madame la ministre, nous ne pouvons que nous tourner vers vous, vers le Gouvernement pour vous demander s’il est prévu que la France soutienne des programmes de cette nature. Pour conclure, je dirai que la menace dont nous débattons aujourd’hui est d’autant plus brûlante que nos forces sont actuellement engagées dans un conflit armé au Mali. Nous le savons, les guerres, notamment celles qui ont lieu dans des pays où règne la précarité, font le lit de pandémies et, souvent, comme cela a été dit, il faut garder à l’esprit qu’une attaque de terrorisme épidémiologique est théoriquement possible. Cette préoccupation, nous l’avons eue avec l’Irak, nous l’avons toujours avec l’Iran ou la Libye compte tenu de la situation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)