Les débats

Affaires étrangères et coopération
Jean-Marie Bockel 22/04/2013

«Débat d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées au Mali»

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout en respectant les prérogatives du Président de la République dans le domaine dit « réservé », je veux souligner toute la pertinence de l’article 35 de la Constitution depuis la réforme de 2008, qui permet aujourd’hui à notre Haute Assemblée de se prononcer et d’échanger sur ce sujet aussi important qu’est l’engagement de nos forces armées au Mali. C’est bien l’urgence des événements qui a conduit au déclenchement de l’opération Serval, dans le cadre strict de la légalité internationale. Alors que le Mali se situe à moins de trois heures de vol de notre pays, la France ne pouvait pas laisser s’installer au cœur du continent africain un « nouvel Afghanistan ». Le Président de la République, chef des armées, a donc pris ses responsabilités, et nous nous en réjouissons, sans polémique. Après plus de quatre mois d’intervention au Mali, quel premier bilan tirer de l’opération Serval ? Les objectifs ont-ils été atteints et les conditions d’un retour à la paix et à la stabilité au Mali sont-elles perceptibles ? Permettez-moi, tout d’abord, au nom de l’ensemble des sénateurs du groupe UDI-UC, de saluer l’engagement courageux de nos soldats au Mali et de rendre hommage à nos cinq compatriotes qui ont perdu la vie depuis le début de cette intervention. Les forces françaises ont rempli avec honneur et efficacité les missions qui leur ont été confiées. Qu’elles soient assurées de notre soutien ferme et indéfectible ! Les objectifs fixés par les autorités françaises dès le commencement de l’opération semblent avoir été atteints, ou sont en passe de l’être. L’offensive des groupes terroristes faisant craindre une percée jusqu’à Bamako a été stoppée, ce qui garantit la préservation de l’État malien, et le déploiement des troupes françaises, appuyées par les soldats tchadiens, et quelque peu par les éléments maliens qui était en état de le faire et quelques contingents africains, dans un premier temps, devrait permettre un passage progressif de témoin à la MISMA, puis à la force de l’ONU dans quelques mois. Les sanctuaires d’AQMI et des groupuscules terroristes dans la région, notamment dans le massif des Ifoghas, ont-ils pour autant été complètement annihilés ? Sans doute pas. Mais ces groupes ont été frappés en plein cœur, ce qui a considérablement réduit leur capacité de nuisance : plusieurs centaines de combattants et plusieurs dizaines de tonnes d’armes ont été neutralisés. Comme le souligne très justement le rapport de nos collègues Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher, l’opération Serval a clairement permis de démontrer le savoir-faire français en termes de logistique et de projection de forces, et aussi, bien sûr, de souligner quelques lacunes capacitaires, qui ont d’ailleurs été compensées par nos alliés. Cette intervention illustre la nécessité d’avoir un outil militaire performant – vous l’avez tous dit –, formidable instrument de puissance au service de notre diplomatie et de nos intérêts stratégiques. D’un point de vue militaire, cette opération est donc un franc succès et elle est à juste titre considérée comme tel par nos alliés. Aussi, dans le contexte actuel de réductions budgétaires, je m’interroge à mon tour, messieurs les ministres, sur notre capacité à mener ce type d’opération dans quelques années si nous ne maintenons pas un effort de défense crédible et ambitieux. Vous l’avez compris, à la commission des affaires étrangères et de la défense, nous formons un véritable pack autour du président Carrère, pour reprendre une expression de rugby, en soutien à votre action, monsieur le ministre. Si certaines garanties ont pu être récemment apportées par le Premier ministre et le Président de la République, le cas malien doit être à l’esprit de tous lors des arbitrages budgétaires, car les tensions capacitaires qui apparaissent au sein de nos armées pourraient bien être de nature à dicter nos engagements ou non-engagements de demain... Je voudrais à présent revenir sur les défis qui restent à relever au Mali. Une intervention militaire, aussi efficace soit-elle, ne peut suffire. Ces défis nous invitent d’ailleurs à réfléchir sur notre propre diplomatie et sur notre engagement aux côtés de nos partenaires africains. Le premier défi, bien sûr, est d’ordre sécuritaire. Si l’offensive terroriste a été repoussée et les villes maliennes libérées, les forces djihadistes, même réduites et affaiblies, n’ont pas pour autant abandonné le combat et semblent décidées à user de méthodes asymétriques – IED, attentats, etc. –, comme on l’a vu à Gao. La question sécuritaire au Mali, où résident 6 000 de nos compatriotes, doit être suivie avec attention, d’autant que la vie de nos otages enlevés dans la région en dépend aussi. Le retrait de nos troupes, tel qu’il a été précisé encore tout à l’heure par M. le Premier ministre, jusqu’au palier d’environ 1 000 soldats, doit s’effectuer de manière progressive et concertée et tenir compte de la situation sur le terrain. Bien évidemment, nous savons que tel est l’état d’esprit actuel. Monsieur le ministre de la défense, vous nous avez fait part de nombreuses informations dans le secret de la commission, comme vous-même, monsieur le ministre des affaires étrangères, et vous aussi, monsieur le ministre chargé du développement, mais que pouvez-vous dire aujourd’hui publiquement, compte tenu bien sûr des limites de l’exercice, sur le niveau de la présence française au Mali dans les prochains mois ? Je ne parle pas du nombre de militaires, car nous disposons d’éléments sur ce point. Je souhaite savoir comment les choses vont s’organiser. La présence militaire prendra-t-elle in fine la forme d’une force de réaction rapide, capable de réagir au plus vite en cas d’urgence ? Plus globalement, cette crise a-t-elle permis de revalider la présence de forces prépositionnées dans la région, avec, là aussi, un retour d’expérience ? On s’en doute, ce ne sera pas comme aujourd’hui. Ces forces ont été remises en cause à plusieurs reprises. Mais aujourd’hui, beaucoup voient leur intérêt, avec bien sûr la souplesse et l’adaptation nécessaires. Cela étant, il serait intéressant que le principe de la présence de telles forces soit réaffirmé. Si l’action de la France peut être décisive, toutefois elle ne peut et ne doit pas être la solution ultime. Nos troupes n’ont pas vocation à rester en nombre et durablement sur le territoire malien, et nous en sommes tous d’accord. Le Nord-Mali représente une superficie grande comme une fois et demie la France, alors que l’ensemble constitué par le Sahara et le Sahel s’étend sur le territoire de neuf pays. C’est donc bien la coopération régionale entre ces pays – je songe notamment à la coopération avec l’Algérie – qui pourra permettre de traiter globalement ces défis sécuritaires. Je n’oublie pas non plus le problème lancinant posé par le trafic de drogue dans la région, qui a certainement précipité, et depuis longtemps, le destin malien. Les forces africaines doivent également accélérer leur déploiement. Alors que le Tchad, dont les forces ont une nouvelle fois démontré leur valeur lors de cette opération, vient de décider un retrait progressif du Mali, quid des autres pays de la région, en particulier de la Mauritanie ? Les forces africaines seront-elles assez nombreuses, bien équipées et suffisamment formées pour prendre le relais des troupes françaises, et quel sera le rythme retenu ? Des doutes subsistent, d’autant que la reconstruction de l’armée malienne est un vaste chantier, à l’heure où seulement quelques centaines d’hommes, au demeurant présents et courageux, nous le savons, seraient réellement opérationnels en son sein. Le deuxième défi concerne la situation politique. La résolution 2085 du Conseil de sécurité exige la reprise d’une vie politique démocratique et fixe le cadre de ce processus politique. L’enjeu est de taille, car, depuis plusieurs années, la vie politique s’est dégradée. L’élection présidentielle prévue au mois de juillet prochain constitue la clef de voûte pour enclencher un processus politique, eu égard à la véritable faillite de l’État malien que nous avons vu se déliter sous nos yeux au fil des années. Ainsi pourra être conférée une grande légitimité au pouvoir malien, qui en a bien besoin. La bonne tenue de ce processus électoral est un préalable indispensable à toute solution durable. Les revendications des Touareg, à l’origine en partie de la déstabilisation du Mali, seront également parmi les questions principales à régler. Bien que ne représentant actuellement que 4 % de la population malienne, les Touareg et leurs différentes composantes, dont le MNLA, notamment, continuent de marquer leur opposition au pouvoir central de Bamako. L’exemple de la situation à Kidal a été cité à plusieurs reprises. Un dialogue pourrait s’établir dans le cadre de la commission « Dialogue et réconciliation », dont la création a été officialisée par le président malien au mois de mars dernier. Encore faudra-t-il que celle-ci soit acceptée par la population malienne. Le troisième et dernier défi concerne le développement du Mali. Selon la formule consacrée, « pas de sécurité sans développement » et vice versa. L’action militaire française ne pourra finalement être justifiée que si elle permet de créer les conditions pour entamer une véritable politique de développement, prélude à l’établissement d’une sécurité globale. Le Mali est classé parmi les dix pays les plus pauvres de la planète, comme l’ont fait remarquer les différents orateurs. Lutter contre l’insécurité implique ainsi le développement de programmes peut-être plus pertinents à destination de la population malienne. Nous sommes quelques-uns à bien connaître le Mali et nous pouvons nous faire de nombreux reproches mutuels. Nous devons tous balayer devant notre porte, si je puis dire, et depuis longtemps. Il y aurait beaucoup à dire sur les politiques structurelles, sur la destination de l’aide. Soyons un peu positifs. D’aucuns évoquaient la coopération décentralisée. Grâce à elle, j’ai connu la situation du Mali, notamment celle du Nord-Mali, pendant vingt ans. Monsieur le ministre, vous avez d’ailleurs organisé une opportune réunion à Lyon, afin de remobiliser les troupes, si je puis dire. Certes, la coopération décentralisée n’est pas la panacée et des erreurs ont été commises. Mais par son biais, nous avons pu mener le meilleur de nos politiques de développement – je pense notamment aux domaines rural et agricole –, grâce à la coresponsabilité. Je ne reviendrai pas sur le rendez-vous du mois de mai. Tout a été dit. Sur cet enjeu financier extrêmement important, le compte n’y est pas. Nous comptons sur vous pour maintenir la pression. En conclusion, un retour de la paix et de la stabilité au Mali et dans la région nous semble envisageable par une action combinée dans ces trois domaines – sécuritaire, politique et développement. La France a bien évidemment un rôle important à jouer aux côtés de nos amis maliens, mais nous comptons également beaucoup sur l’Union européenne. Je ne suis pas revenu sur l’absence de réaction commune des pays européens lors de cette crise. Ce fut une occasion ratée pour l’Union européenne. Là aussi, nous aurions pu démontrer ce qu’est une véritable Europe de la défense. Certes, c’est à la France que les Maliens ont fait appel dans l’urgence, et pour cause ! Mais dans la perspective de sa « Stratégie pour le développement et la sécurité au Sahel » adoptée en 2011, l’Union européenne pourrait apporter toute son expertise civile dans la reconstruction de l’État malien avec un volet de développement économique et social. Plus généralement, afin d’éviter que d’autres drames comme celui qui a eu lieu au Mali n’interviennent dans les prochaines années, l’intérêt sécuritaire et économique de l’Union européenne ne serait-il pas, à l’instar des Américains et de leur plan Marshall pour l’Europe après la Seconde Guerre mondiale, de lancer un programme analogue en direction de toute l’Afrique, terre de développement, de croissance, de convoitise aussi, mais également d’opportunités partagées ? Un véritable partenariat euro-africain en quelque sorte. Messieurs les ministres, vous l’aurez compris, au-delà de ces interrogations, à propos desquelles vous ne manquerez pas, je l’espère, d’apporter des précisions, le groupe UDI-UC votera en faveur de la prolongation de l’intervention de nos forces armées au Mali. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et sur plusieurs travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)