M. Aymeri de Montesquiou
Monsieur le ministre, vous avez déclaré à Helsinki il y a quelques jours que, pour financer le nouvel agenda du développement post-2015, « nous devrons être ambitieux et innovants ». C’est juste. L’aide au développement, c’est-à-dire son financement, a changé de nature. L’aide directe a vécu. Son efficacité mise en question, elle prend de nouvelles formes, plus adaptées à un monde en pleine mutation et aux défis de notre planète.
Les objectifs du Millénaire pour le développement fixent la feuille de route pour éradiquer l’extrême pauvreté dans le monde d’ici à 2015. Le retard accumulé compromet la réalisation du programme onusien dans les délais prévus, mais un effort intense de rattrapage est à l’œuvre, mobilisant toutes les ressources. En complément de l’aide publique au développement, deux axes me semblent fondamentaux : le microcrédit et les financements innovants.
En effet, une solution réside dans la réorientation d’une partie de l’aide publique au développement vers des microprojets de financement, en ouvrant ainsi l’accès aux services financiers pour les plus défavorisés. Des exemples concrets et efficaces sont source d’inspiration. Je pense à une initiative, certes ancienne mais très parlante, la création en 1776 en Écosse du premier établissement d’épargne, par un prêtre, pour permettre aux pauvres extrêmement nombreux à l’époque d’épargner une partie de leur salaire.
On sait la place de premier rang qu’a su prendre la banque écossaise.
J’ai choisi cet exemple vieux de près de 250 ans pour illustrer l’affirmation de Muhammad Yunus, pour qui « une bonne théorie économique doit donner aux gens l’opportunité d’utiliser leurs talents. Il faut sortir du schéma traditionnel où les riches entreprennent et les pauvres dépendent de l’aide ou des dons pour survivre ». Il considère à juste titre les plus démunis comme des entrepreneurs potentiels, capables d’innover face à la nécessité.
En revanche, les outils pouvant leur permettre de transformer leur créativité en revenus durables ne leur sont toujours guère accessibles, et une grande partie des établissements de la microfinance nécessitent d’importants apports financiers extérieurs, surtout dans leurs premières années.
Selon les chiffres du Groupe consultatif d’assistance aux pauvres, moins de 16 % de la population ont accès aux services financiers dans les pays du Sud, contre 95 % dans les pays développés. Il est impératif de faire évoluer cette répartition et de donner aux hommes et aux femmes des pays émergents les outils pour gérer leurs petites économies, leur permettant de rassembler les sommes nécessaires à une capitalisation et donc à l’investissement. Cela constituerait une avancée majeure vers l’éradication de la pauvreté.
Bien que le microcrédit et la microfinance se soient répandus dans plus de 80 pays en trente ans, leur potentiel de développement est encore considérable. À titre d’exemple, sur 80 millions d’habitants en Éthiopie, il y a moins de 3 millions de clients de la microfinance ; à Madagascar, on dénombre 730 000 clients pour 20 millions d’habitants.
D’après les Nations unies, si les femmes avaient le même accès aux ressources productives que les hommes, la production des pays en développement augmenterait de 20 % à 30 %, ce qui serait suffisant pour sauver de la faim 100 millions à 150 millions de personnes.
Cette projection est confirmée par les experts de l’International Center for research on women, pour qui faciliter l’accès au crédit aux femmes générera un grand nombre d’entreprises et d’emplois. J’en suis convaincu, les femmes se montrent des entrepreneurs plus responsables et plus efficaces, madame Bouchoux, puisqu’elles remboursent quasiment toutes l’intégralité de leur prêt. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.)
Malheureusement, une grande partie de leurs projets est fragilisée pour la simple raison qu’elles ont un très faible accès à l’éducation et à la formation et un accès très limité aux services financiers.
La France et l’Union européenne ont un rôle très important à jouer dans la lutte contre la discrimination envers les femmes et dans la promotion de l’éducation, clef de la réussite de la plupart des projets de développement.
Hélas, ces trois dernières années, on constate une stagnation du nombre d’enfants scolarisés.
Soyons convaincus qu’une institutionnalisation des structures de microcrédit permettrait de combler l’absence d’un système bancaire stable dans de nombreux pays. Gardons à l’esprit que le microcrédit, concept encore innovant et indispensable, ne peut se substituer aux investissements massifs dans l’éducation et la santé, eux seuls pouvant lever les obstacles économiques et politiques qui entravent la réussite des bénéficiaires des prêts.
Une autre piste complétant l’aide publique au développement est constituée par les financements innovants, qui reposent sur le principe de l’implication des pays bénéficiaires dans les stratégies de mobilisation de financement pour le développement.
La France, secrétaire permanent du Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement rassemblant une soixantaine de pays, des organisations régionales, des institutions internationales, des ONG, est une force motrice en la matière. La taxe sur les billets d’avion, la taxe sur les transactions financières permettent de lever des fonds significatifs. Je me contenterai de citer cet exemple probant : les partenariats contractuels entre donateurs et entreprises pharmaceutiques appelés « garanties d’achat futur » pallient les défaillances du marché des médicaments.
Monsieur le ministre, vous avez appelé à une mobilisation internationale pour ces financements lors de la 11e session plénière du Groupe pilote le 6 février dernier à Helsinki et, en lien avec la présidence finlandaise, vous avez défini des plans d’action ambitieux et emportant l’adhésion.
Le monde en développement représente 85 % de la population mondiale mais une très faible part du PNB de la planète, bien que la coopération Sud-Sud s’accentue et que les investissements du Sud dans les pays du Nord augmentent.
L’Agence française de développement elle-même diversifie ses domaines d’action et propose des prêts. Il est d’ailleurs absurde, dans un souci de bonne gestion et au regard du seul bon sens, d’octroyer des subventions à des pays émergents comme la Chine ou l’Inde, qui sont des pays concurrents à la croissance très forte et qui n’ont pas besoin de cet appui.
L’ambiance des conférences économiques internationales est révélatrice de l’évolution des esprits, les pays du Nord se morfondant sur leur situation économique, les pays du Sud voyant l’avenir s’ouvrir devant eux.
La physionomie du monde change, comme l’état d’esprit des populations. Le président tunisien Marzouki soulignait ainsi que les relations inégales seront de moins en moins acceptées par les nouvelles générations.
L’axe Nord-Sud reste-t-il aujourd’hui le plus pertinent ? La population mondiale atteindra près de 8 milliards en 2025 avec une croissance démographique très élevée en Afrique sub-saharienne, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Amérique latine et en Asie. En 2025, l’Europe constituera seulement 6 % de la population mondiale. J’ajoute que, dans les pays émergents, la population sera jeune, contrairement à celle des pays développés.
Créer une quantité suffisante d’emplois pour répondre à cette évolution démographique sera un défi majeur pour les pays du Sud et contribuera à éviter un potentiel conflit Nord-Sud. Ces pays devront absolument résoudre leurs problèmes de gouvernance économique et politique et améliorer leurs infrastructures afin de créer un environnement propice à l’investissement. La France, qui dispose d’un grand savoir-faire dans les domaines du transport, de l’énergie et de l’eau peut y jouer un rôle fondamental.
Ayons toujours à l’esprit que la prospérité économique est la seule arme efficace contre la propagation de l’extrémisme, qui plonge ses racines dans la désespérance.
Monsieur le ministre, les Assises du développement et de la solidarité internationale que vous pilotez vont se conclure dans quelques jours. Je suis convaincu que les axes de votre politique de développement seront ambitieux et innovants. (Applaudissements.)