Les débats

Catherine Morin-Desailly, Michel Laugier, Laurent Lafon, Dominique Vérien 20/02/2018

«DÉBAT : AVENIR DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC»

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M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur l'avenir de l'audiovisuel public. Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des Présidents.

Je vous rappelle que la commission et le groupe qui ont demandé le débat, disposeront d'un temps de parole de 10 minutes (y compris la réplique), puis le Gouvernement répondra pour une durée de 10 minutes.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Face à la mutation numérique, j'ai souhaité de longue date que notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication travaille à l'avenir de l'audiovisuel public, avec la commission des finances notamment. MM. Leleux et Gattolin ont rendu un rapport sur ce sujet il y a trois ans, dont les conclusions sont toujours d'actualité. Encore avions-nous sous-estimé l'ampleur de la révolution technologique et l'effet des plateformes américaines. Ainsi les questions posées à l'audiovisuel public sont les suivantes : l'audiovisuel public peut-il répondre aux attentes de tous ses publics ? Ses programmes justifient-ils les 3,7 milliards d'euros qu'il reçoit ? Les entreprises publiques ont-elles pris la mesure du défi numérique ? Les jeunes regardent peu les programmes et la moyenne d'âge des spectateurs est supérieure à 60 ans. Souvent, les programmes publics sont considérés comme peu innovants et peu exportables. Quant à la situation financière de ces entreprises, il faut distinguer Arte, France Médias Monde et l'INA qui font des efforts pour contrôler les dépenses de France Télévisions et Radio France dont les coûts de structures poursuivent leur progression, notamment pour la masse salariale.  Au-delà des missions à redéfinir, c'est aussi le financement de ces entreprises qui pose question. L'innovation technologique coûte cher, c'est pourquoi l'audiovisuel public doit dégager des marges de manoeuvre financières en faisant des économies sur ses structures. Pour ce qui est des ressources, c'est l'incertitude qui domine. La publicité - qui compte pour environ 400 millions d'euros pour France Télévisions et Radio France - non seulement banalise l'offre publique mais elle est aujourd'hui accaparée par les plateformes numériques et ne peut donc constituer une ressource d'avenir. Le paiement de la Contribution à l'audiovisuel public (CAP) reste fondé sur la possession d'un téléviseur. Or, le taux d'équipement baisse à mesure que progressent les nouveaux usages sur les supports numériques. Une réforme de la CAP est donc devenue indispensable. Nous devons donc faire un choix. Soit, donc, on ne change rien et la banalisation du service public et de ses programmes se poursuivra ; soit on ouvre le chantier. Certains estiment que le service public coûtera trop cher ; d'autres, à l'inverse, souhaitent le statu quo ; d'autres enfin souhaitent ne payer qu'en fonction de leur consommation. Les Suisses se prononceront le 4 mars prochain, par référendum, sur la redevance audiovisuelle. S'ils décident de la supprimer, l'entreprise publique, la SSR - ses 17 radios et 7 chaînes de télévision - ainsi que ses 6 000 salariés devront cesser leur activité d'ici un an. Face à cette menace, la SSR a acté la nécessité de se transformer avec un maître mot : rendre accessible l'ensemble des contenus télévisés et radiophoniques sur une plateforme globale multisupports et renforcer l'attractivité de ses programmes. Cette priorité donnée aux contenus est partagée par la RTBF belge et la BBC britannique. Elle doit être le fil d'Ariane de la réforme que nous devons conduire en France. Renforcer la spécificité de l'audiovisuel public ; donner la priorité à l'audace, à l'innovation, à la rigueur ; regrouper l'ensemble des programmes sur une même plateforme numérique ; mutualiser des services par thématiques - information, culture, sports, territoires -, voilà quelle doit être notre ambition.  Nous devons aller jusqu'au bout de la révolution des usages et ne pas nous apitoyer sur des structures qui nous sont familières mais qui sont vouées à se transformer radicalement si elles veulent perdurer. D'ici peu, les téléspectateurs regarderont leurs programmes sur tous les supports, de manière délinéarisée. Pour la radio, on peut penser que la 5G attendue pour 2020 constituera également une nouvelle frontière permettant de dépasser l'antique FM et ses problèmes de pénurie de fréquences. Ce nouveau paradigme technologique impose une refonte du service public. Nous proposons la création d'un holding, non pas une fusion qui serait coûteuse en temps et en énergie. Surtout, ce qui importe, c'est de redonner confiance aux salariés et au public. L'essentiel est qu'une personne incarne le service public, l'indépendance des médias et le pluralisme et qu'elle soit responsable de la répartition des crédits issus de la contribution à l'audiovisuel public. Je déplore d'ailleurs les conditions de la démission de la présidente de France Médias Monde. Nous devons trouver un mode de nomination indiscutable sachant que tout ou presque a été essayé dans ce domaine, sans donner satisfaction. Un consensus semble se dessiner pour prévoir une nomination par le conseil d'administration. Cette modalité de nomination n'aura de sens que si l'indépendance des membres du conseil d'administration est garantie, ce qui signifie que la représentation des tutelles doit être simplifiée. Des missions réaffirmées, une ambition culturelle et éducative renforcée, des personnels remobilisés, une gouvernance commune et indépendante instaurée... Ces piliers de la réforme doivent être consolidés par une profonde modernisation de la contribution à l'audiovisuel public pour garantir, dans la durée, les moyens nécessaires à l'accomplissement des missions. Jean-Pierre Leleux et André Gattolin proposent une contribution universelle sur le modèle allemand. C'est une solution efficace. D'autres questions se posent : faut-il fusionner l'Arcep et le CSA ? Quid de la cession des fréquences hertziennes ? La chronologie des médias doit en outre être modernisée. Nous avons fait des propositions. C'est donc bien une réforme systémique qui s'annonce. La commission de la culture est prête à jouer son rôle dans cette réforme indispensable, nous poursuivons nos travaux - en particulier par une mission sur France 3 et France bleu.

Ce débat est un point d'étape et un point de départ. Merci, Madame la Ministre, de répondre à nos questions, qui sont nombreuses !


Mme Dominique Vérien . - Depuis de nombreuses années, on considère la réforme de l'audiovisuel public par le prisme de la gouvernance et des économies à réaliser. Mieux vaudrait commencer par définir ses missions. Quelles méthodes le Gouvernement emploiera-t-il pour parvenir à un consensus sur les défis et les moyens ? À l'heure où les jeunes sont exposés aux fake news, comment comptez-vous les réconcilier avec les programmes du service public : des programmes digitaux, une chaîne jeunesse ?

Mme Françoise Nyssen, ministre. - Je vous ai répondu sur la méthode : travail avec les sociétés, rencontres sur le terrain car il n'y a rien de tel, et, évidemment, consultation publique et grand débat. Vous avez raison, l'audiovisuel public ne peut pas rester éloigné de la jeunesse. Son public vieillit : 58 ans pour France télévisions et 62 ans pour Arte. Il importe de proposer des programmes adaptés, de manière linéaire ou délinéarisée. Des initiatives ont déjà été lancées : Le Mouv', Slash, offre éducative de qualité sur Arte mais les jeunes n'en connaissent pas toujours l'existence. D'où la réflexion sur les canaux de diffusion.

Mme Dominique Vérien. - Ne faudrait-il pas associer l'Éducation nationale à cette réflexion sur une chaîne éducative. La BBC est un exemple à suivre.


M. Michel Laugier . - Ma question portera sur l'audiovisuel extérieur. Marie-Christine Saragosse a été suspendue de ses fonctions pour des raisons qui s'expliquent mais que l'on ne comprend pas. France Médias Monde participe du rayonnement de la France dans le monde. France 24 mérite mieux, il aurait pu être le socle de lancement de la nouvelle chaîne d'information française. Quelle place allez-vous donner à l'audiovisuel public extérieur dans votre réforme ? Quelles seront les relations de France Médias Monde avec les autres entreprises de l'audiovisuel public ?

Mme Françoise Nyssen, ministre. - Le cas Saragosse, quelle histoire ! Le CSA procédera à la nomination du PDG de France Médias Monde. Les équipes, c'est l'essentiel, n'ont pas changé et continuent à promouvoir l'image de la France et la francophonie dans le monde. Notre audiovisuel extérieur doit faire face à une concurrence accrue - la force de frappe de la BBC n'a échappé à personne. Ses crédits augmenteront de 2,5 % en 2018, dans la continuité des efforts entrepris depuis cinq ans avec une hausse de sa dotation de 8 % entre 2013 et 2017, contre 2 % pour les autres sociétés. Une antenne hispanophone vient d'être ouverte. Des partenariats sont en cours avec Arte, d'autres sont à réfléchir.


M. Laurent Lafon . - Le mode actuel de financement de l'audiovisuel public n'est plus adapté. La publicité, en particulier, ne fait plus recette : sa bascule vers Internet, que l'on pensait pour 2018, a eu lieu dès 2016. Nous l'avons supprimé après 20 heures sur le service public. Le Sénat a été pionnier dans ce mouvement en l'interdisant dans les programmes jeunesses. Quelles sont les intentions du Gouvernement sur ce sujet ? Le retour de la publicité après 20 heures est-il envisageable ou va-t-on vers sa suppression totale ?

Mme Françoise Nyssen, ministre. - La réintroduction de la publicité après 20 heures n'est pas à l'ordre du jour. C'est un élément de différenciation important vis-à-vis des chaînes privées. Une consultation a été lancée, la réflexion est en cours. Il faudra examiner les pistes de travail à l'aune de la singularité du service public.