Les débats

Outre-mer
Jean-Marie Bockel 20/02/2013

«Débat sur la situation de Mayotte»

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’histoire des quarante années passées montre clairement que les Mahorais ont fait le choix de la France. Entre Mayotte et la métropole, je crois pouvoir le dire sans me tromper, c’est une histoire d’amour. C’est la France qui a protégé le territoire depuis cinquante ans, et les habitants ont conscience que, sans cette aide et sans cette considération, Mayotte ressemblerait aujourd’hui aux Comores, avec toutes les difficultés économiques, sociales et de sécurité que cela suppose. Cette situation, évidemment, implique des devoirs. Le processus de départementalisation doit désormais être poursuivi. Vous avez ainsi présenté l’année dernière, monsieur le ministre, un certain nombre d’ordonnances concernant les secteurs de l’emploi et de la formation professionnelle, de l’action sociale et de la famille, du code rural et de la pêche maritime. Malgré cette marche en avant vers de nouvelles structures institutionnelles et administratives, force est de constater que la situation de l’île reste complexe, voire préoccupante, et son intégration difficile. Pour devenir un département, Mayotte a connu au cours des dix dernières années des évolutions nécessaires mais profondes. C’est le cas, par exemple, pour le statut civil de droit local, qui a dû évoluer afin d’être compatible avec les droits et libertés consacrés par notre Constitution. De même, la mise en application du droit commun et la mise en place d’une nouvelle organisation judiciaire et de l’état civil constituent de véritables révolutions culturelles, parfois difficiles à faire accepter alors que le droit coutumier reste très prégnant sur l’île. Comme les autres départements d’outre-mer, Mayotte doit par ailleurs faire face à des difficultés économiques et au problème récurrent de la vie chère. L’économie mahoraise est largement tournée vers l’agriculture, l’industrie y étant peu développée. Il y a bien un secteur agroalimentaire, qui fournit par exemple des produits laitiers, mais ses activités sont réduites. Or les taxes liées aux importations fragilisent beaucoup l’économie de l’île. Les événements de 2011 ont tragiquement rappelé cette réalité. La tension sociale, alimentée par un essor démographique spectaculaire, est très forte. La population a été multipliée par huit en cinquante ans et plus de 60 % des Mahorais ont moins de vingt-quatre ans. Si nous n’y prêtons pas attention, cette jeunesse causera, nous en sommes tous conscients, de plus en plus de troubles dans les prochaines années. Le fort taux de chômage et les difficultés économiques de la population entraînent de nombreux problèmes de financement des aides sociales, notamment du RSA. Enfin, le problème de l’immigration clandestine est, à Mayotte plus qu’ailleurs, difficile à résoudre. Le nombre des migrants venus des Comores dans des barques de fortune, dans des conditions souvent dramatiques, se multiplie. Ces flux de populations massifs et incontrôlables créent des situations tragiques, comme celle des mineurs isolés : les femmes des Comores, en quête d’un avenir meilleur pour leur enfant, viennent accoucher sur l’île et certaines d’entre elles repartent, hélas sans lui… Partant de ce constat alarmant, nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan ont eu le mérite de pointer dans leur rapport les nombreux défis auxquels Mayotte est aujourd’hui confrontée, tout en esquissant des pistes de réflexion. Je souhaiterais revenir sur les aspects qui me paraissent les plus importants. Au sujet du statut et de la vie chère, tout d’abord, il est important que Mayotte devienne une région ultrapériphérique aux yeux de l’Union européenne : elle pourra enfin accéder aux fonds européens d’aide sectorielle pour le développement régional, la pêche, l’agriculture, la recherche, le commerce, l’éducation et la formation. De ce côté-là, bien sûr, nous pouvons raisonnablement être optimistes puisque l’île a obtenu ce statut par décision du Conseil européen en juillet dernier. Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour veiller à ce qu’il soit rendu effectif d’ici au 1er janvier 2014. L’aboutissement de ce processus pose cependant la question plus générale du devenir des régions ultrapériphériques dans le cadre du budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020, fortement sous tension, comme chacun a pu le constater. Il me semble utile d’aborder également cet aspect de la question. En définitive, face au phénomène de la vie chère, inextricablement lié à la condition ultramarine de Mayotte, nous devons trouver des solutions contre les monopoles de fait, qui font augmenter les prix, et diminuer les taxes d’importation des produits de première nécessité. Dans le domaine de la justice, permettez-moi de souligner tout le travail qui a été réalisé par le tribunal de Mayotte, lequel n’a été créé que le 1er avril 2011, soit voilà moins de deux ans. Les échanges avec la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion est important. Ils permettront d’avancer rapidement vers une homogénéisation du droit. Mais cela ne suffit pas. Il convient également de renforcer la formation des officiers d’état civil pour gérer le retard pris dans la transcription de l’état civil mahorais. Il faut également intégrer les surveillants pénitentiaires au même grade de la fonction publique que les autres surveillants. La disparition de la justice cadiale, une des expressions les plus manifestes de l’attachement de Mayotte à ses traditions, mêlant droit musulman et coutumier, au profit de la seule justice de droit commun mérite également toute notre attention pour éviter un ébranlement la société mahoraise. Enfin, la question migratoire est l’un des principaux défis auquel ce département doit faire face et auquel nous sommes collectivement confrontés. Les recommandations de la mission confiée à Alain Christnacht étaient très attendues. La nécessité de favoriser le développement des échanges de Mayotte avec son environnement régional, notamment avec l’Union des Comores, spécifiquement dans les secteurs de la santé et de l’éducation est tout particulièrement mise en avant. Si le type de coopération ainsi prônée est clairement indispensable pour résoudre à moyen et à long terme les problèmes d’immigration rencontrés par Mayotte, ces derniers restent lancinants à court terme. Ne faudrait-il pas dès à présent s’atteler aux conditions des demandeurs d’asile et des personnes en situation irrégulière, monsieur le ministre ? Jean-Pierre Sueur a longuement évoqué cette question. Plusieurs d’entre nous – tel n’est pas mon cas – se sont rendus sur place. Nous écoutons donc leurs témoignages avec beaucoup d’attention. Pas plus que d’autres, je n’ai de solution et je ne détiens pas la vérité. Toutefois, il est certain que renoncer à investir dans des bâtiments plus grands, plus adaptés et plus humains pour le centre de rétention administratif n’est pas une bonne chose. S’il n’y pas de solution alternative crédible à la rétention pour maîtriser les flux migratoires, la solution ne peut pas être de ne pas prévoir de moyens d’action. Le dispositif existant, avec tous les problèmes qu’il occasionne, a tout de même un effet dissuasif, même si, comme cela a été fort bien dit, beaucoup de gens passent au travers. Il faut tout de même que nous ayons, dans le respect bien sûr des règles de la République, un dispositif un tant soit peu organisé. J’aimerais connaître votre opinion sur ce sujet, monsieur le ministre, mais, en ce qui me concerne, je pense, et je le dis de manière très humble, qu’il faudra y réfléchir à deux fois avant d’abandonner les investissements dévolus au centre de rétention. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons que constater que beaucoup de chemin reste à parcourir pour que les Mahorais bénéficient de l’ensemble des droits garantis par notre Constitution. Alors que la naissance officielle du département de Mayotte n’a bien entendu pas résolu l’ensemble des problèmes auxquels l’île doit faire face, ce bouleversement institutionnel implique néanmoins une plus grande mobilisation des pouvoirs publics. Gardons à l’esprit que le développement de Mayotte et des outre-mer, certes semé d’embûches, constitue un atout pour la France dans la mesure où elle saura l’accompagner. Je crois que les satisfactions mutuelles que nous pouvons attendre du travail extrêmement difficile dans lequel notre pays et le département de Mayotte sont engagés seront à l’échelle des espérances, notamment celles des populations au service desquelles nous sommes. (Applaudissements.) (M. Jean-Patrick Courtois remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)