Les débats

Affaires sociales
Hervé Marseille 12/06/2014

«Question orale avec débat potant sur l’adéquation de la formation professionnelle aux besoins des demandeurs d’emploi»

M. Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en février dernier, le Gouvernement nous proposait d’examiner un projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. L’objectif principal de la réforme était justement de mieux cibler les financements de la formation professionnelle sur ceux qui en ont le plus besoin. Aujourd’hui, le groupe écologiste, en particulier notre collègue Jean Desessard, vous interroge, monsieur le ministre, sur l’adéquation de la formation professionnelle aux besoins des demandeurs d’emploi. Le simple fait de poser cette question prouve, s’il en était besoin, que les interrogations et inquiétudes exprimées à l’occasion des débats qui ont eu lieu au début de l’année n’ont pas été levées. Nous-mêmes n’avons cessé de répéter lors de l’examen de cette supposée grande réforme qu’elle n’allait en rien améliorer la situation des travailleurs peu qualifiés et des demandeurs d’emploi au regard de la formation professionnelle. Alors que 32 milliards d’euros sont investis chaque année et nonobstant le fait que les grandes entreprises consacrent le double de leurs obligations légales à la formation professionnelle, les résultats sont malheureusement assez faibles pour les salariés les moins qualifiés. Qu’en est-il de l’adéquation de la formation professionnelle aux besoins des demandeurs d’emploi ? Pour répondre à cette problématique, le texte prévoyait de réduire de 70 % l’obligation de financement des plans de formation et d’augmenter de 0,1 point la mutualisation des fonds, en la portant de 0,8 % à 0,9 %. On traitait donc le problème d’un point de vue financier plutôt que de porter une attention plus particulière sur l’offre de formation. Le texte ne comportait d’ailleurs aucune disposition relative au contrôle et à la certification des organismes de formation. À ce sujet, nombre d’entre nous se souviennent d’un reportage réalisé par le magazine télévisé Cash Investigation, qui montrait à juste titre l’insuffisance des contrôles. C’est la raison pour laquelle un certain nombre d’amendements avaient été déposés, mais ils n’ont malheureusement pas été retenus. Aussi, mes chers collègues, des formations existent, mais certains – trop ! – profitent de ce système, au détriment de l’objectif premier de la formation professionnelle. C’est pourquoi nous avions défendu un amendement visant à proscrire le phénomène des formations fantaisistes ou approximatives, amendement qui répondait à deux difficultés. D’une part, le foisonnement des organismes prestataires : il y en aurait près de 60 000 en France, contre 4 000 chez nos voisins allemands.
Ce nombre important résulte des conditions initialement mises en place. En effet, depuis 1971, on considère que le jeu de marché suffirait à réguler l’offre de formation. Aussi, une simple déclaration, un simple enregistrement suffirait. Cette théorie ne résiste pas à l’épreuve des faits, comme l’ont démontré les différents rapports. Par ailleurs, la répartition de l’offre de formation n’est pas équitable, puisque 1 % des organismes prestataires cumulent 44 % du chiffre d’affaires.
D’autre part, la qualité des formations pose problème. Les services de l’État ont pu identifier des situations de conflit d’intérêts entre les organismes prestataires et les financeurs, dont les chefs d’entreprise. Cette dérive de la formation professionnelle résulte du manque de régulation provenant d’un encadrement juridique trop approximatif. De surcroît, aucune certification n’a réellement été mise en place, et les systèmes de labellisation ou de certification pullulent. L’amendement présenté par le groupe UDI-UC avait été adopté, mais il a été supprimé par la commission mixte paritaire, laquelle a argué du fait que l’un des articles du texte, l’article 3 bis A, mettait en place un contrôle des organismes de formation. Nous estimons que cette disposition est insuffisante. En effet, cet article a une portée beaucoup plus réduite que le dispositif prévu dans notre amendement, et nous le regrettons. Ce dernier aurait eu pour conséquence de supprimer les formations que j’évoquais à l’instant ; nous aurions pu également améliorer la qualité de l’offre de formation. Cela aurait constitué une première étape, en vue de mettre l’offre davantage en adéquation avec les besoins. Par ailleurs, il est important de sortir de la logique des années passées qui laissait la formation professionnelle à la seule initiative des partenaires sociaux. À l’époque, le chômage constituait un phénomène plutôt marginal. Aujourd’hui, son taux est tel que la question de la formation professionnelle relève de l’intérêt général et, donc, du législateur. Le constat que nous faisons de la déficience du système est corroboré par les travaux de l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, dans lesquels elle précise que la formation professionnelle ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les personnes sans qualification ou les moins qualifiées, ainsi que les demandeurs d’emploi. Le texte que nous avons examiné en début d’année ne concernait ces publics que de façon tout à fait marginale. Le compte personnel de formation ne bénéficiera que très partiellement aux publics qui en ont le plus besoin. Pour avoir un véritable effet sur ces personnes, la réforme aurait dû prévoir l’abondement du compte personnel de formation de manière inversement proportionnelle au niveau de qualification initiale des personnes. Il aurait même fallu le surabonder pour les personnes en situation de chômage de longue durée. De même, il aurait fallu quasiment doubler les crédits octroyés au congé individuel de formation, qui est identifié dans de nombreux rapports comme le système le plus efficace pour les demandeurs d’emploi. C’est pourquoi nous avions déposé une série d’amendements issus du rapport de l’IGAS, mais ils n’ont malheureusement pas été adoptés. La gouvernance de la formation professionnelle pose également problème. À l’occasion des débats de février dernier, notre collègue Chantal Jouanno avait attiré l’attention du Gouvernement sur ce point. En effet, nous sommes très attachés à la décentralisation et, en particulier, au principe de responsabilisation des régions. L’un de nos amendements avait été adopté : il visait à confier à la région la mission d’évaluer systématiquement l’efficacité des formations mises en œuvre par ses services sur la base d’une grille de critères nationaux harmonisés, grille définie par décret en Conseil d’État et destinée à effectuer une consolidation à l’échelon national des résultats régionaux. Monsieur le ministre, au vu de l’actualité récente, nous aimerions connaître les réflexions que la nouvelle carte des régions vous inspire. Un nombre réduit de régions s’accompagnera-t-il d’une redistribution des compétences ? La gouvernance pleine et entière de la formation professionnelle pourrait-elle leur être attribuée, en s’appuyant, bien évidemment, sur les partenaires sociaux au moment de l’élaboration et de l’évaluation des plans et programmes de formation ? C’est, d’ailleurs, ce que vient de demander Jean-Noël Cardoux à l’instant. Par ailleurs, une région aussi étendue et diverse que celle qui regrouperait les actuelles régions Centre, Poitou-Charentes et Limousin pourra-t-elle définir une stratégie de formation professionnelle cohérente ? Je crains, monsieur le ministre, mes chers collègues, que la réforme de la formation professionnelle n’ait pas permis de traiter en profondeur le problème de l’adéquation entre l’offre de formation et le besoin des demandeurs d’emploi, qui constitue pourtant le sujet central. Nous aurions souhaité que l’on donne davantage de pouvoir et de faculté d’initiative au législateur sur ces différents sujets. Au sein de notre groupe, nous considérons la formation professionnelle comme une « seconde chance ». Or les enjeux essentiels résident aujourd’hui dans la correction des inégalités de formation, notamment de formation initiale, et dans la lutte contre le risque de relégation lié au chômage de masse et de longue durée. À nos yeux, le législateur doit bien sûr s’impliquer davantage. Ces questions ont été insuffisamment traitées, et nous le regrettons. En conclusion, nous estimons que la réforme précédente n’est pas allée assez loin. Comme l’a dit Jean-Noël Cardoux, il serait peut-être opportun de profiter du débat sur la réforme territoriale et dans le cadre de la révision des délégations de compétence pour aller plus loin et apporter des modifications substantielles à ce texte relatif à la formation. La nouvelle carte des régions apportera de fortes modifications, et l’État devra lui aussi se modifier. L’examen des textes sur la réforme des collectivités territoriales, au mois de juillet ou d’octobre prochain, pourrait être l’occasion de revoir ces sujets et compléter le texte qui a été discuté en début d’année. (M. Jean-Noël Cardoux applaudit.)