Les débats

Education et enseignement supérieur
Françoise Férat 12/06/2014

«Débat sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation»

Mme Françoise Férat

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de la formation des professeurs du premier et second degré, ainsi que celle de la préparation aux différents concours d’enseignement, est primordiale. Elle appelle donc à agir avec responsabilité.
En application de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation ont été créées, en remplacement des instituts universitaires de formation des maîtres, venant ainsi réformer la formation de nos enseignants. L’esprit de cette réforme est louable, mais je regrette la rapidité avec laquelle elle a été mise en œuvre, suscitant de réelles inquiétudes et difficultés auprès de l’ensemble des acteurs concernés. La réforme des rythmes scolaires a été mise en place trop rapidement et sans réelle concertation, avec les difficultés que nous connaissons aujourd’hui.
De la même façon, la mise en place des ESPE s’est faite « à marche accélérée », pour reprendre les termes du rapport de la mission d’information sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation du 4 juin dernier.
Les ESPE ont le double objectif de parachever l’« universitarisation » de la formation des enseignants et de professionnaliser le parcours de cette formation. Dans cette perspective, le rapport de la mission d’information apporte un éclairage intéressant sur les orientations à mener et le travail à approfondir. Cette dernière a fait plusieurs recommandations plus que pertinentes, qui seront, je l’espère, reprises à l’avenir. C’est le cœur même de ce chantier. Je partage notamment ses conclusions quant à la nécessité d’un continuum entre les différentes étapes du cursus, qui doit être une priorité. Je salue la mise en place des conseils de perfectionnement au sein des ESPE, qui vont dans le sens de l’amélioration continue de la formation des enseignants et qui, je le crois, doivent être notre préoccupation à tous. Enfin, il faudra accentuer la cohérence pédagogique, établie à trois niveaux. La licence, tout d’abord, est l’étape préalable à l’intégration d’une ESPE ; il s’agit d’insister sur l’intégration d’outils préprofessionnels ; cette licence ne doit pas être une étape désolidarisée au sein du cursus. Le master 1, lui, doit davantage être professionnalisant. Le constat auquel le rapport aboutit est sans appel : les ESPE sont encore, dans bien des cas, tiraillées entre les tenants d’une formation à vocation professionnelle et ceux qui sont favorables à une formation purement et simplement académique. Cet hiatus pédagogique peut, à terme, desservir les étudiants qui attendent de la logique et de la complémentarité dans leur formation. Il nous paraît à ce titre utile que vous réaffirmiez, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, des orientations pédagogiques claires. La cohérence doit enfin se situer au niveau des modules de formation continue, car ceux-ci permettent aux professionnels de l’éducation d’adapter leurs outils de diffusion du savoir aux évolutions pédagogiques et sociales. Il faut également encourager l’innovation pédagogique. La formation des ESPE ne doit plus être imperméable au monde professionnel, en perpétuelle évolution. Former de bons enseignants implique de les sensibiliser aux ressorts du monde professionnel. Nous avions défendu cette position avec ma collègue Catherine Morin-Desailly lors des discussions sur la refondation de l’école. Les enseignants étant au cœur du processus d’orientation professionnelle, il nous paraît primordial d’intégrer cette dimension dans la structure pédagogique des ESPE. Cette initiative serait, je le crois, une des émanations du besoin d’innovation pédagogique que nous appelons de nos vœux. Nous souhaitions également une intégration de personnalités extérieures issues du monde professionnel dans les organisations dirigeantes des ESPE, dont, en particulier, le conseil de l’école administrant ces établissements. Une étude comparative simple entre les ESPE de Paris, Lyon, Toulouse et Aix-Marseille montre d’ailleurs une faible représentation de personnalités extérieures issues de la sphère professionnelle. L’innovation pédagogique implique également une meilleure intégration du numérique dans les offres de formation. À ce titre, les initiatives telles que celle qui a été prise par l’ESPE de Clermont – dont il a été largement question ce soir –, à savoir la mise en place d’un observatoire des pratiques pédagogiques à l’ère du numérique, doivent être généralisées et encouragées. En outre, elles doivent en parallèle faire l’objet d’arbitrages stratégiques et financiers adéquats. Le rapport de la mission d’information souligne également une amélioration de la professionnalisation. Nous pouvons nous en réjouir ; cependant, pour que cette tendance s’amplifie, il faudra être vigilant sur les profils des formateurs au sein de ces nouveaux établissements. Il est impératif que les étudiants puissent recevoir une formation dispensée par des formateurs de terrains. Par ailleurs, j’estime nécessaire de réfléchir à la création d’un statut intermédiaire pour les étudiants qui ont validé leur première année de master et qui sont proches de la barre d’admissibilité aux concours, car cet enjeu me semble insuffisamment pris en compte. Le rapport de la mission d’information soulève également la question de la gouvernance des écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Celles-ci se trouvent au confluent d’institutions aux intérêts divers. Je partage la volonté d’une forte intégration des ESPE à l’université. Le rapport pointe, de manière générale, de bons rapports entre les ESPE et les universités intégratrices ; nous ne pouvons que nous en féliciter. Il faut éviter, autant que faire se peut, une logique de développement opposée entre les partenaires et l’ESPE. Nous sommes parfaitement conscients que les considérations locales doivent être prises en compte dans l’analyse des relations avec l’université. Ainsi, dans certaines académies, des situations historiques locales suscitent une dynamique conflictuelle entre les acteurs impliqués. Il convient précisément dans ce genre de cas de garantir l’autonomie de décision de l’ESPE. Cette garantie n’est pas contraire à la logique d’intégration que nous souhaitons pour les ESPE ; bien au contraire, j’y vois une chance pour que les ESPE ne soient pas des coquilles vides, dans la mesure où elles se reposent entièrement sur les universités pour l’inscription administrative des étudiants, ainsi que pour la diplomation. La question de l’autonomie de décision des ESPE appelle celle de l’autonomie financière – vous en avez également parlé, monsieur le rapporteur. Dans la perspective d’un contexte budgétaire contraint pour les établissements publics d’enseignement supérieur et d’une baisse générale des dotations de l’État, le budget des ESPE risque de baisser mécaniquement en tant que composante du budget de l’établissement d’accueil. Plusieurs ESPE font état d’une diminution substantielle de leur budget de fonctionnement par rapport aux ressources des IUFM, diminution pouvant aller jusqu’à 30 %, en raison d’arbitrages financiers de l’université intégratrice. Une réflexion à long terme sur le modèle budgétaire et financier de ces écoles est nécessaire, car, à l’heure actuelle, il crée une dépendance de fait aux établissements publics dans lesquels elles sont intégrées. Par ailleurs, le rapport met en exergue la concurrence entre les ESPE et les UFR disciplinaires qui captent une grande partie des étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement secondaire. À mi-parcours, il convient de renforcer les partenariats entre les UFR et les ESPE qui ne pourront entraîner que des externalités positives tant pour l’offre pédagogique que pour l’efficience des formations dispensées. Le rapport de la mission de la commission de la culture est riche, étayé, et j’en partage les recommandations. J’espère qu’elles seront prises en compte, notamment par le comité de suivi de la réforme de la formation des enseignants, mis en place pour trois ans et qui devrait rendre son premier rapport très prochainement. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, de l’UMP et du groupe écologiste. – M. le rapporteur applaudit également.)