Les débats

Collectivités territoriales
Jean-Marie Vanlerenberghe 11/06/2014

«Débat sur les conclusions de la mission commune d՚information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales»

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce rapport répond à juste titre à un double constat. D’une part, le monde sportif professionnel a évolué. Il s’éloigne plus en plus de notre modèle classique pour aller vers ce que nous avons appelé le « sport business », soit un secteur économique en pleine expansion. D’autre part, la baisse des dotations aux collectivités territoriales les force aux restrictions budgétaires. Or 350 millions d’euros de subventions seraient chaque année versés par les collectivités territoriales aux clubs professionnels . Face à cette mutation du sport professionnel, notre modèle classique, porté par les collectivités, est à bout de souffle. Une remise à plat du système et des liens entre nos collectivités et le sport professionnel s’impose donc. Notre mission s’est interrogée sur la refonte de ce modèle : comment assurer des relations raisonnables et responsables entre le sport professionnel et les collectivités locales tout en permettant à nos clubs de rester compétitifs lors des grands tournois européens ? L’une des premières observations de ce rapport montre que l’attribution des subventions aux clubs par les collectivités se fait sous pression, comme cela vient d’être souligné : pression du club, pression des médias, pression de l’opinion ! Dans ce contexte, les collectivités se voient obligées de verser des subventions pour équilibrer les budgets déficitaires des clubs. La communalisation des pertes – pour ne pas parler de « collectivisation » – et la privatisation des bénéfices par les clubs professionnels ne peuvent plus durer. L’octroi de ces subventions doit donc revêtir un intérêt général. Lorsque l’on connaît les conditions de vie chaque jour plus difficiles de nos concitoyens, des subventions publiques qui serviraient indirectement à l’achat d’un joueur surpayé seraient illégitimes, voire indécentes. Un autre problème majeur est pointé par la mission : le manque d’encadrement juridique et la diversité des formes de subventions comme, par exemple, les achats de prestations, créent un flou dans l’attribution de ces financements et leurs contreparties. Nous saluons donc vivement les propositions allant dans le sens d’une plus grande transparence. Une des autres facettes de ces subventions indirectes réside dans la mise à disposition, à des prix dérisoires, voire gratuitement, des équipements publics tels que les stades. Et cela d’autant plus que les coûts de construction ou de rénovation sont souvent pris en charge par les collectivités, pour une utilisation qu’elles ne maîtrisent pas. Actuellement, en France, 80 % du parc des stades est détenu par les collectivités, alors que dix-huit des vingt premiers clubs de football européens sont propriétaires de leurs stades. La question de l’équipement sportif est donc une priorité majeure pour les clubs, les collectivités et le pays tout entier, aussi bien dans l’optique de la pratique sportive que de l’accueil des grandes compétitions internationales. Des exemples récents – la MMArena, au Mans, ou le stade de Grenoble – nous montrent le désastre que peut constituer la construction d’un stade aux frais de la collectivité. Ces stades peuvent devenir un poids financier, que les collectivités territoriales doivent ensuite traîner seules, pendant des décennies, si l’aléa sportif a été défavorable au club de la ville. Sur ce point, nous saluons la proposition n° 18, qui proscrit l’utilisation des partenariats public-privé pour la création de ces stades. Le transfert de gestion ou de propriété des stades aux clubs professionnels, comme proposé dans le rapport, est également plus que salutaire. Il faut absolument renforcer ce mouvement. De même, la clarification des missions de chaque collectivité territoriale va dans le bon sens. Néanmoins, la désignation de l’intercommunalité comme partenaire de référence du sport professionnel pourrait susciter de nombreuses réticences. Nous ne pensons pas qu’imposer un tel partenaire de référence représenterait un réel apport pour la pratique sportive. Par ailleurs, si le besoin de transparence se fait sentir du côté des collectivités territoriales, notamment en matière de subventions, l’indispensable régulation du secteur doit également concerner les clubs. Le contrôle de gestion des sociétés sportives a été instauré et pris en charge par les fédérations sportives. Cependant, cette régulation n’est pas entièrement efficiente et nos clubs continuent d’enregistrer de nombreux déficits. Les pistes évoquées par le rapport sur la régulation du secteur et la diversification des sources de revenus des clubs nous semblent donc prometteuses. Toutefois, nous nous interrogeons sur la nécessité de créer une nouvelle autorité administrative indépendante, le Conseil supérieur du sport professionnel, qui engloberait les organismes de régulation de toutes les ligues sportives, avec leur pouvoir réglementaire. Créer un nouveau comité – oserai-je l’appeler « Théodule » ? – améliorerait-il la régulation du secteur ? Cette autorité pourrait a contrario rendre le processus de prise de décision encore plus complexe. De même, on devrait exiger que les fédérations soient moins prolifiques en normes, situation qui peut parfois entraîner des rapports ambigus avec les partenaires, par exemple des industriels, lesquels peuvent être intéressés par leur modification. D’une façon plus générale, nous saluons l’audace des mesures qui nous sont proposées. L’enjeu est de taille, et l’ambition du rapport se devait de l’être tout autant. Je voudrais néanmoins attirer votre attention, mes chers collègues, sur le risque d’une segmentation de notre monde sportif professionnel. La première proposition du rapport prévoit en effet de fixer à 2020 la date de fin des subventions aux clubs professionnels pour l’ensemble des disciplines arrivées à maturité. Cela ne posera pas de problème pour le football et le rugby ; mais quelles disciplines, à part celles-ci, pourraient être arrivées à maturité dans ce laps de temps, alors que le volley-ball ou le hand-ball professionnels, par exemple, sont encore financés à plus de 70 % par nos collectivités ? Au moment de repenser le modèle économique du sport professionnel, il nous appartient de nous assurer d’un réel effet d’entraînement entre l’économie du « sport spectacle », qui ne cesse de croître, et le sport professionnel, qui continue d’être porté à bout de bras par les collectivités territoriales. L’inverse entraînerait une fracture sportive, laquelle comporte deux dangers : le blocage du développement des sports professionnels qui ne sont pas actuellement sur le devant de la scène, et la coupure définitive entre le « sport business » et le reste du sport professionnel. Je souhaite insister sur ce point particulier. Si les conclusions du rapport sont claires, et particulièrement foisonnantes, en ce qui concerne le « sport business », les propositions pour assurer la reconnaissance et l’autonomie progressive du reste du sport professionnel, singulièrement le sport professionnel féminin, sont en revanche trop peu nombreuses. À ce titre, j’indique que la répartition des droits médias dans le football anglais, telle que nous l’a présentée lors de son audition le directeur de l’action européenne de la première division de football au Royaume-Uni, M. Moreuil, va de 1 à 1,4 entre les clubs de Premier League, quand elle va de 1 à 4 ou 5 en France. S’assurer d’une meilleure répartition de ces droits et en dédier une partie plus importante aux autres divisions et à l’action sociale – la Premier League consacre 35 à 40 millions de livres sterling au secteur social – pourrait certainement pallier certaines difficultés du monde sportif de notre pays. En effet, derrière la volonté d’éviter une coupure entre le « sport business » et le reste, un autre enjeu se profile : le maintien du rôle social du sport. Il convient de rappeler, comme l’a fait la mission commune d’information dans son rapport, que le sport professionnel a un rôle à jouer dans la promotion du sport et dans la cohésion sociale qui en découle. Certes, les sommes en jeu, qui viennent d’être évoquées, ne sont évidemment pas les mêmes. Mais l’exemple, ramené à juste proportion, mériterait peut-être d’inspirer les autres sports professionnels. La proposition n° 8 du rapport, dont l’objet est de transformer les achats de prestations en partenariats avec les fondations des clubs professionnels, serait d’ailleurs très bénéfique de ce point de vue. En conclusion, nous tenons à remercier les membres de la mission commune d’information de s’être penchés au bon moment sur ce sujet sensible, en ces temps de rigueur budgétaire, et d’avoir proposé un modèle totalement neuf, du moins dans notre pays, pour assurer le passage du sport professionnel vers son autonomie. Appliquer le modèle économique préconisé par la mission permettrait de concilier au mieux nos deux objectifs : améliorer l’efficience de la dépense publique et assurer l’indépendance financière des clubs professionnels compétitifs. Nous appelons ce modèle de nos vœux, et souhaitons qu’il advienne rapidement. Nous espérons donc, monsieur le secrétaire d’État, que les propositions de la mission trouveront l’écho qu’elles méritent. Telle est notre position sur ce nécessaire et excellent rapport, pour lequel, madame Escoffier, vous qui avez pris le relais de Stéphane Mazars, je vous félicite. (Applaudissements.)