Les questions

Economie et finances
Hervé Maurey 11/01/2011

«La transférabilité des contrats d’assurance sur la vie»

M. Hervé Maurey

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, l’assurance vie est le produit d’épargne préféré des Françaises et des Français, en raison notamment de sa sécurité et des avantages fiscaux qui y sont associés. À plusieurs reprises, le Sénat a marqué son intérêt et son attachement à l’assurance vie et à la protection des bénéficiaires des contrats en étant à l’origine de textes destinés à favoriser leur recherche. Ainsi, en avril dernier, avons-nous voté à l’unanimité une proposition de loi que j’avais eu l’honneur de proposer à la Haute Assemblée. Avec un encours de plus de 1 200 milliards d’euros en juillet 2010, l’assurance vie confirme un succès qui ne se dément pas depuis plus de vingt ans, malgré l’augmentation régulière de la fiscalité à laquelle elle est assujettie. Aujourd’hui, les prélèvements sociaux, qui seront désormais prélevés annuellement en application de la loi de finances pour 2011, s’élèvent à 12,3 %. À ce prélèvement s’ajoute une imposition dont le barème varie en fonction de la durée du contrat : 35 % pour les contrats détenus depuis moins de quatre ans, 15 % pour ceux dont la durée est de quatre à huit ans, et 7,5 % pour ceux dont la durée est supérieure à huit ans. Cette dégressivité a pour objectif d’assurer une stabilité permettant de favoriser l’épargne à long terme dont notre économie a besoin. Cette règle, malgré son caractère strict, est comprise et admise par tous. En revanche, une autre règle est beaucoup moins bien acceptée : c’est celle qui empêche un souscripteur de transférer un contrat en cours d’une compagnie à une autre, sans perdre le bénéfice de l’antériorité. Aujourd’hui, pour transférer son contrat, un souscripteur est obligé de le racheter et d’en souscrire un nouveau, perdant ainsi les avantages fiscaux attachés à l’antériorité dont il bénéficiait. Cette contrainte constitue un verrou en matière de concurrence et de liberté du consommateur, dans un secteur marqué par d’importants regroupements. Une telle situation diffère de celle qui prévaut dans la plupart des cas, et notamment pour d’autres placements d’épargne populaire tels que le livret A. Dans un rapport adopté en juin 2009, le Conseil économique, social et environnemental, tout en plaidant pour une stabilisation de la réglementation, suggère également que soit offerte la possibilité de « transférer un contrat d’assurance vie d’un opérateur à un autre sans frais excessifs et sans pénalisation fiscale dès lors que le contrat demeure ouvert ». Ayant écrit à ce sujet à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi le 16 juin 2010 et n’ayant toujours pas obtenu de réponse malgré plusieurs relances, je me permets de vous interroger, monsieur le secrétaire d’État : le Gouvernement entend-il, sur la base des préconisations du Conseil économique, social et environnemental, assouplir une règle qui me semble aujourd’hui très restrictive ?

Réponse du ministre

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur le sénateur, vous l’avez dit, il s’agit d’un sujet que vous connaissez bien. Vous interrogez Mme la ministre sur l’opportunité d’autoriser le transfert individuel de contrats d’assurance vie entre compagnies d’assurance. Or Mme Lagarde est assez réservée s’agissant de l’opportunité de ce type de transferts, et ce pour plusieurs raisons. Le régime de l’assurance vie est lié, dans notre pays, à la nécessité de favoriser l’épargne sur le long terme. Vous avez également rappelé ce point, qui constitue d’ailleurs l’argument principal sur lequel s’articulera ma réponse. Depuis sa création, ce dispositif a eu pour objet la constitution d’une telle épargne, qui est nécessaire à notre économie. Or la transférabilité induirait un certain nombre d’effets pervers. Premièrement, elle remettrait en cause – vous avez certainement en tête une telle perspective – le financement de nos entreprises, lié à l’existence d’une épargne sur le long terme. Il s’agit d’un enjeu majeur de politique économique. La détention d’une épargne sur le moyen terme est justement ce à quoi incite le dispositif depuis qu’il a été créé. De fait, on observe que, en raison notamment du régime fiscal associé à l’assurance vie, la maturité moyenne des contrats est d’environ neuf ans. Cette durée permet à l’assureur d’adopter un horizon de gestion de moyen terme et d’investir dans des actifs à long terme, comme la dette et des actions d’entreprises. Ainsi, fin 2009, 53 % des actifs des assureurs étaient investis dans des actifs d’entreprises, qu’il s’agisse de dette ou d’actions. Si, d’aventure, le transfert individuel de contrats d’assurance vie était autorisé, l’assureur serait dans l’obligation de réduire son horizon de gestion et de détenir des actifs plus liquides, principalement de la dette souveraine, ce qui n’est pas dans l’intérêt de notre économie ni, surtout, de nos PME. Deuxièmement, le régime fiscal dont bénéficie l’assurance vie a historiquement été introduit pour inciter à la détention d’actifs sur le long terme. Cet aspect n’est pas sans importance. En effet, si l’incitation à la détention de tels actifs ne constituait plus la priorité du dispositif, le bien-fondé du régime fiscal de l’assurance vie risquerait alors d’être remis en cause, ce que ni le Gouvernement ni vous-même, monsieur le sénateur, ne souhaitent. Troisièmement, la détention d’actifs sur le long terme est normalement source de rendements pour l’épargnant. Vous l’avez vous-même souligné, monsieur le sénateur, ce produit est souvent le préféré des Français. Le transfert individuel de contrats d’assurance vie ayant pour effet de raccourcir l’horizon de gestion des assureurs, les rendements risqueraient de diminuer, ce qui rendrait moins attractif pour les assurés ce type de produits. Monsieur le sénateur, je connais parfaitement votre engagement – nous le partageons d’ailleurs – dans la défense des consommateurs. Je connais en outre votre attachement au régime de l’assurance vie. Vous avez plaidé en faveur de la possibilité de rachat d’un contrat, l’épargnant pouvant alors réinvestir son épargne dans un autre contrat. Or rien n’empêche l’épargnant qui ne serait pas satisfait d’un premier contrat d’en souscrire un second ! Ce point est loin d’être négligeable. En effet, il avait été question, à une certaine époque, de « verrouiller » le nombre de contrats d’assurance vie, en le limitant à un seul. Tels sont les éléments de réflexion que je souhaitais porter à votre connaissance, monsieur le sénateur. Vous l’avez compris, il s’agit non pas d’une opposition de principe, mais plutôt d’une inquiétude très forte liée à la remise en cause du régime lui-même, mais surtout de tous les avantages que ce dernier procure tant à l’assuré qu’aux PME de notre pays. Or une telle perspective, j’en suis convaincu, ne correspond bien évidemment pas à ce que vous souhaitez.

Réplique de Hervé Maurey

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de m’avoir enfin apporté une réponse. Je comprends parfaitement les arguments que vous venez d’évoquer et qui sont d’ailleurs ceux qui sont utilisés par les établissements financiers concernés, qu’il s’agisse des banques ou des compagnies d’assurance. Je tiens toutefois à faire remarquer que le transfert, lequel, par définition, ne remet pas en cause l’existence du contrat, ne nuit pas aux investissements sur le long terme. Ne perdons pas de vue cette donnée ! Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, il convient également de considérer le point de vue des consommateurs, auquel je vous sais très attaché. Sans doute ce sujet mériterait-il de réunir une table ronde, qui associerait tous les organismes de défense des consommateurs. En effet, derrière cette question se pose également le problème de la mobilité bancaire. Très souvent, face à l’impossibilité de transférer son contrat d’assurance vie, le consommateur renonce à quitter son établissement bancaire, d’autant plus qu’il se trouverait alors confronté aux pénalités évoquées tout à l’heure par notre collègue. Ces questions doivent donc être examinées, afin de mieux prendre en compte le point de vue du consommateur.