Les questions

Culture
Catherine Morin-Desailly 09/04/2015

«Rachat de la chaîne numéro 23 par nextradiotv (BFMTV)»

 

Mme Catherine Morin-Desailly

Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication. Mais, permettez-moi auparavant d’exprimer, au nom du groupe UDI-UC, tout notre soutien à la chaîne TV 5 Monde, voix de la francophonie, qui vient d’être victime d’une cyberattaque sans précédent, une nouvelle atteinte à la liberté d’expression que nous dénonçons. (Applaudissements.) La semaine dernière, nous apprenions le rachat de la chaîne de la TNT Numéro 23 par le groupe NextRadioTV, qui possède déjà BFM TV, RMC, RMC Découverte, pour près de 90 millions d’euros. Deux ans et demi à peine après son lancement, cette chaîne change donc de mains, et cette transaction devrait rapporter une somme importante à ses actionnaires. Je ne porterai pas de jugement sur l’habilité du principal actionnaire de Numéro 23 – avec un tel retour sur investissement, on serait tenté de dire : « Chapeau l’artiste ! » – ni sur le respect des engagements pris lors de l’attribution de la fréquence en termes de création et de ligne éditoriale. En revanche, cette transaction financière doit tous nous interpeller. Comment expliquer aux Français, qui sont à la fois téléspectateurs et contribuables, qu’un bien public rare a été cédé gratuitement pour être revendu à bon prix aussi rapidement ? On fait immédiatement le parallèle avec un autre dossier en cours, celui du transfert de la bande des 700 MHz dont, soit dit en passant, le calendrier et l’absence de plan d’accompagnement posent problème. Le Gouvernement entend céder ces fréquences aux opérateurs de télécommunication contre une rémunération élevée, qui a déjà été affectée au budget de la défense. À l’inverse, quel gain l’État va-t-il tirer de la revente de Numéro 23 ? Pas grand-chose !
Madame la ministre, comment prévenir ces actions spéculatives autour des chaînes de télévision de la TNT ? Aux termes de la loi de 1986, l’autorisation donnée à une chaîne par le CSA peut être retirée en cas de modification substantielle des données au vu desquelles l’autorisation avait été délivrée. On ne saurait préjuger de l’avis du CSA mais, à la suite de la cession de Numéro 23, le Gouvernement entend-il modifier ces dispositions, afin de les rendre plus protectrices de l’intérêt général ? Nous débattons en ce moment du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Ne serait-ce pas l’occasion de porter de deux ans et demi à cinq ans la durée minimale de détention avant de pouvoir céder le capital d’une nouvelle chaîne de télévision sur la TNT, tout simplement afin de moraliser ces pratiques ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, de l’UMP et du groupe CRC.

Réponse de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication

Madame la sénatrice, je vous remercie de votre message de solidarité envers la chaîne TV5 Monde. Avec Laurent Fabius et Bernard Cazeneuve, je me suis rendue ce matin auprès des équipes pour leur dire la solidarité du Gouvernement : nous mettons tout en œuvre pour prévenir, dans la mesure du possible, de telles attaques et, en tout cas, la traiter du mieux possible. D’ailleurs, Bernard Cazeneuve et moi-même recevrons aujourd’hui les dirigeants des grands médias, afin d’engager des réflexions sur ce sujet. J’en viens maintenant au rachat annoncé dans la presse de la chaîne Numéro 23 par le groupe NextRadioTV. Comme vous le savez, madame la sénatrice, ce projet est soumis au contrôle des autorités de régulation, l’Autorité de la concurrence et le Conseil supérieur de l’audiovisuel, lesquelles devront donner leur accord avant toute concrétisation. Or, avant d’agréer une telle opération, le CSA doit prendre en compte le respect du pluralisme et de la concurrence dans le secteur audiovisuel. Récemment, le Gouvernement a renforcé ces procédures sur deux points. La loi du 15 novembre 2013 prévoit que le CSA doit mieux prendre en compte les considérations économiques d’un projet avant d’agréer les modifications d’autorisation de service de télévision. Si le CSA estime que le marché sera bouleversé, il pourra notamment lancer une étude d’impact publique, pour prendre une décision éclairée. Le CSA a donc tous les moyens de s’assurer du respect de l’équilibre du marché et du pluralisme. Par ailleurs, en 2013 également, le Gouvernement a mis en place une taxation de 5 % sur la revente des chaînes de la TNT, déclenchée en cas de changement des titulaires d’autorisation hertzienne. Il me semble d’ailleurs que la droite n’était pas très favorable à l’adoption d’une telle taxe ; elle y était même franchement opposée. Cette taxe visait à faire en sorte que les fréquences, qui appartiennent au domaine public, comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice, et qui sont attribuées gratuitement aux chaînes de la TNT, ne puissent pas faire l’objet de spéculations. Nous aurions aimé à l’époque avoir le soutien de la droite ! Enfin, si l’actionnariat d’une chaîne est modifié, la loi, pas plus que la jurisprudence, ne permet pas d’envisager un changement de format ou de programmation d’une chaîne de la TNT. Tout changement substantiel – un changement de thématique ou de catégorie de services, par exemple – apporté à la programmation est de nature à remettre en cause l’autorisation délivrée. Une telle mesure permet donc également de lutter contre la spéculation. Quoi qu’il en soit, je partage votre objectif, madame la sénatrice. Quant à votre proposition d’allonger la durée minimale de détention d’une chaîne, pourquoi pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)