Les débats

Affaires étrangères et coopération
Jean-Marie Bockel 05/02/2014

«Débat sur les violences sexuelles faites aux femmes du fait des conflits armés et l’application par la France de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies»

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’exprimait en ces termes en 2009 : « Les violences sexuelles contre les femmes sont un crime contre l’humanité. Elles vont à l’encontre de toutes les valeurs défendues par l’Organisation des Nations unies. [Elles] sont donc autant d’agressions à l’encontre de nous tous, qui sapent les fondements mêmes de la civilisation. » Si les violences sexuelles faites aux femmes, qu’il s’agisse du viol, de l’esclavage sexuel, de la grossesse ou de la prostitution forcées, ont accompagné toutes les guerres de l’histoire, cette réalité dramatique a pourtant longtemps été passée sous silence. C’est la découverte, au début des années quatre-vingt-dix, des atrocités sexuelles commises pendant la guerre en ex-Yougoslavie qui a provoqué une prise de conscience de la communauté internationale. En effet, selon les estimations des Nations unies, près de 50 000 femmes ont subi des violences sexuelles en Bosnie-Herzégovine. Quelques autres exemples tragiques existent. Ainsi, on avance le chiffre de 500 000 femmes violées lors du génocide au Rwanda ; plus de 50 000 femmes ont subi des violences sexuelles durant le conflit en Sierra Leone ; près de 40 viols seraient commis chaque jour dans la région du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo... Alors que les civils restent les principales victimes des conflits contemporains, force est de constater que ces actes de violence sexuelle ne se produisent pas de manière sporadique. Ils sont conçus comme de véritables stratégies de la terreur, s’inscrivant dans le cadre d’attaques systématiques ayant pour finalité de détruire, terroriser, humilier ou faire déplacer des communautés entières, au-delà de la douleur infligée aux femmes victimes. On peut donc très clairement parler de la violence sexuelle comme d’une arme de guerre. La principale difficulté à laquelle nous nous heurtons pour appréhender ces violences dévastatrices est le silence des victimes dû en partie à la crainte que celles-ci ont d’être stigmatisées et à la peur de représailles et qui explique le faible nombre des dénonciations et l’impunité des responsables de ces crimes. C’est notamment ce qui ressort du travail réalisé par notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes à la fin de l’année 2013, travail que je tiens à mon tour à saluer. Ce sentiment d’impunité est également alimenté par les dysfonctionnements du système judiciaire des pays concernés, qui laissent les victimes face à leur souffrance et nient leur droit à la justice et à la réparation. Au Tchad, par exemple, les auteurs de viols et d’autres actes de violences perpétrés contre des réfugiées sont rarement traduits en justice, comme le rapporte Amnesty International. La faiblesse du cadre juridique tchadien, le manque de personnel judiciaire compétent et l’absence d’une réelle volonté politique de la part des pouvoirs publics expliquent cette situation, que l’on retrouve malheureusement dans de nombreuses zones de conflit... Des progrès judiciaires importants ont toutefois été accomplis ces dernières années. Ainsi, le droit pénal international prend progressivement en compte les violences sexuelles faites aux femmes au cours des conflits armés. Aussi, les statuts des tribunaux internationaux ad hoc ainsi que ceux de la Cour pénale internationale incriminent explicitement les actes de violence sexuelle comme des crimes contre l’humanité ou crimes de guerre, même si très peu de condamnations ont été prononcées à ce jour par rapport au nombre de victimes. Le Conseil de sécurité des Nations unies s’est également saisi de cette problématique à travers un corpus de résolutions intitulé « Femmes, paix et sécurité » fondant son action sur la résolution 1325. Celle-ci prévoit l’accroissement du rôle des femmes dans les opérations des Nations unies et appelle les parties à un conflit armé à prendre des mesures particulières pour protéger les femmes contre les actes de violence sexuelle. Madame la ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons que nous réjouir de l’existence de ce cadre juridique, dont l’élaboration a été rendue possible notamment grâce au soutien de la France. Dans la lignée des résolutions « Femmes, paix et sécurité », la France a d’ailleurs adopté, comme une trentaine de pays dans le monde, un plan national d’action. Alors que l’armée française est l’une des plus féminisées au monde, ce plan d’action a permis, sous l’impulsion du haut fonctionnaire à l’égalité des droits au ministère de la défense, de renforcer l’égalité entre les hommes et les femmes au sein des armées, d’une part, la place des femmes au sein des opérations extérieures, d’autre part. Madame la ministre, au moment où le plan d’action français arrive à échéance, quels seront les principaux axes de sa mise à jour ? Êtes-vous en mesure de nous apporter quelques précisions à ce sujet ? Quoi qu’il en soit, la plus-value liée à la présence de femmes sur le terrain est indéniable, comme en attestent les retours d’expérience qui nous parviennent de théâtres extérieurs, en Afghanistan ou ailleurs. Il faut désormais développer ces bonnes pratiques, qui facilitent les échanges avec les ONG et les acteurs locaux. Quid, par exemple, d’une présence féminine accrue dans les structures judiciaires post-conflit et les camps de réfugiés qui pourrait permettre de nouer un dialogue de confiance avec les femmes victimes de violences ? Par ailleurs, il est impératif que la France apporte un soutien plein et entier aux efforts du Secrétaire général des Nations unies et de sa représentante spéciale. Je pense à la politique de « tolérance zéro » pour les actes d’atteinte sexuelle commis dans le cadre des missions de maintien de la paix, qui doit être poursuivie. Sur ce sujet, nous attendons aussi beaucoup de l’Europe. L’Union européenne devrait accroître le nombre de femmes travaillant dans ses propres institutions et nommer un représentant de haut niveau pour les questions « Femmes, paix et sécurité ». Finalement, dans le domaine normatif, le traité sur le commerce des armes, ouvert à signature au mois de juin dernier, revêt une importance particulière dans la mesure où son article 7 vise explicitement les violences faites aux femmes et engage les États exportateurs à s’assurer que les armes classiques ne puissent servir à commettre des actes de violence graves contre des femmes ou des enfants. Les membres du groupe UDI-UC appellent la France à tout mettre en œuvre pour encourager sa ratification en vue de son entrée en vigueur dans les meilleurs délais. En dépit de ces diverses initiatives, l’action internationale reste défaillante et les violences sexuelles sont encore très présentes dans les zones de conflit, République démocratique du Congo, Syrie, Centrafrique, Darfour, Sud-Soudan, etc.
La fin de l’impunité reste un but à atteindre et, le plus souvent, la communauté internationale se trouve incapable d’agir.
Pour conclure, j’évoquerai quatre aspects sur lesquels nous devons, selon moi, concentrer notre action. Premièrement, il faut accroître la prévention. La société civile a joué un rôle crucial pour porter le débat au sein de la communauté internationale, tout en agissant localement dans des conditions difficiles aux côtés des victimes de violences sexuelles. Les moyens des ONG et associations devraient donc être confortés, en mettant particulièrement l’accent sur les programmes d’éducation à l’égalité entre hommes et femmes. Deuxièmement, il faut renforcer la protection. L’ONU devrait prendre des mesures pour permettre aux missions de maintien de la paix, dans le respect de leur mandat, de protéger les femmes contre toutes formes de violence, de faciliter le travail de la justice, d’identifier et d’évacuer les victimes lorsque de tels actes surviennent. L’octroi du statut de réfugié pour des motifs humanitaires aux femmes victimes de violences pendant un conflit devrait être systématisé. Troisièmement, il faut développer l’assistance. L’un des éléments les plus fondamentaux consiste à restaurer la dignité des femmes victimes, car elles ont souvent un sentiment de honte et de culpabilité après de telles agressions. Au-delà de l’aide d’urgence, les services de soutien devraient inclure les besoins plus complexes et à plus long terme des victimes et de leur famille : soins médicaux, soutien psycho-social, logement, assistance juridique, services liés à l’emploi, etc. La déclaration du G8 de Londres sur la prévention des violences sexuelles en 2013 s’inscrivait dans cette démarche, mais quid des mesures concrètes ? Quatrièmement, il faut intensifier les poursuites. Afin que la victime ne porte plus le stigmate du crime qu’elle a subi, il faut en finir avec l’impunité. Les gouvernements nationaux portent la responsabilité première de poursuivre et de punir les responsables de ces crimes. Pourquoi ne pas utiliser de nouveaux outils, comme les institutions de la francophonie, pour sensibiliser les États à la nécessité de sanctionner les auteurs de ces violences, via un renforcement de leur système judiciaire ? Sur ce point, je rejoins la suggestion de notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin. En définitive, nous sommes face à un paradoxe. Malgré un engagement de la communauté internationale et une montée en puissance normative, les violences sexuelles perdurent dans les zones de guerre. Ce sentiment d’impuissance appelle une réponse globale, qui nécessite volonté politique, ressources adéquates et engagement concerté et durable des multiples acteurs. Il est urgent d’agir, car, pour reprendre les mots de Ban Ki-moon, les « conséquences [de ces violences faites aux femmes] dépassent de loin ce qui est visible et immédiat ». C’est finalement un véritable enjeu de civilisation... Le débat qui a lieu aujourd’hui doit contribuer à accélérer la prise de conscience dans notre pays. La France est présente sur les théâtres de conflits et ne reste pas égoïstement repliée sur elle-même. Sa tradition la conduit, plus que d’autres pays peut-être, à se sentir concernée par ce qui se passe sur la scène internationale. En tant que pays des droits de l’homme, c’est-à-dire aussi des droits de la femme, elle a une responsabilité particulière. Le plaidoyer vibrant et convaincant de notre collègue qui m’a précédé à cette tribune et le travail de Mme la présidente de la délégation sont une contribution remarquable à cette démarche. Nous devons tous apporter, modestement, mais avec beaucoup de force et de conviction, notre pierre à l’édifice. Madame la ministre, je vous remercie de nous y encourager. (Applaudissements.)