Les débats

Education et enseignement supérieur
Françoise Férat 03/10/2012

«Débat sur les conditions de la réussite à l՚école»

Mme Françoise Férat

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école de la République doit être une chance pour chacun des élèves, quel que soit leur environnement social, d’acquérir des savoirs : savoir penser, savoir-faire et savoir-vivre. L’école obligatoire ne signifie pas l’égalité des élèves. D’une famille à l’autre, d’une origine sociale à une autre, d’un établissement à l’autre, les élèves ne sont pas égaux en matière de réussite scolaire. En revanche, monsieur le ministre, l’éducation nationale, notamment dans le primaire, doit pouvoir assurer une égalité des « chances » de réussite. C’est le socle du pacte républicain et la mission essentielle de votre ministère. La réussite à l’école, et je voudrais insister fortement sur ce point, ne se mesure ni au regard du pourcentage d’une classe d’âge qui redouble, ni à la moyenne des évaluations de sixième, ni au regard du pourcentage d’obtention du brevet, du bac, etc. Ce n’est pas cela la réussite. Pas plus que la réussite professionnelle ne se mesure au niveau du salaire. Non, elle s’apprécie individuellement, élève par élève, au regard non seulement de ses progrès dans l’apprentissage des connaissances, mais surtout de son développement personnel et social. Ce sont 150 000 jeunes qui sortent prématurément du système scolaire. Si certains d’entre eux s’engagent dans un cycle de formation professionnelle, avec en poche des connaissances fondamentales solides en français et en maths, du savoir-vivre et une capacité de réflexion suffisante pour agir avec intelligence dans leur apprentissage, tant mieux ! En revanche, s’ils le font parce que le système qu’on leur proposait n’était pas adéquat et ne leur permettait pas de progresser, c’est inquiétant. Encore faut-il que l’éducation nationale puisse donner un cadre propice à cette réussite. Or ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Il ne faut pas oublier l’importance de la qualité de l’orientation proposée aux jeunes. Elle est primordiale. Elle doit être parfaitement adaptée à chaque jeune, pour que l’échec scolaire ne soit pas une fatalité. Les étapes cruciales que sont la troisième et la seconde dans le cursus scolaire d’un élève sont capitales. Toutes les formations doivent être privilégiées. Dès lors qu’un jeune est correctement orienté, la formation choisie est logiquement la bonne, que ce soit dans l’une des filières générales ou professionnelles, en apprentissage ou en alternance. Pour que cela fonctionne, il est impératif que tous les acteurs participant à la réussite de l’enfant soient concernés : les parents, les enseignants, les conseillers d’orientation et, bien évidemment, le jeune. Les conditions du succès sont assez évidentes et ont un dénominateur commun : il est nécessaire que la loi propose des piliers sur lesquels les établissements pourront, en fonction des contingences qui leur sont propres, bâtir leur projet pédagogique au regard des besoins et des conditions de réussite des élèves de leur établissement. Les piliers de la réussite scolaire que l’État doit aujourd’hui revoir sont les suivants. Il faut tout d’abord un rythme d’apprentissage « à l’école » adapté à l’élève. Il semble à cet égard qu’un apprentissage récréatif « hors école » pourrait être bénéfique. Le temps de l’expérimentation est terminé et, à en croire celle qui a eu lieu à Angers, le taux de satisfaction appelle à une généralisation d’une augmentation du temps à l’école, mais dont une partie serait consacrée aux activités récréatives. Il s’agit ensuite de passer d’une logique d’égalitarisme de l’enseignement – collège unique, égalitarisme territorial,… – à une logique « équitable », en fonction des besoins. Il faut enfin mettre l’accent sur un climat apaisé au sein de l’école, condition sine qua non de la réussite scolaire. Sur la question des rythmes d’apprentissage, je ne répéterai pas ce que de très nombreux rapports successifs s’obstinent à préconiser. Au sein des pays de l’OCDE, les élèves français travaillent plus, même « trop » d’heures par semaine, pour un moindre niveau de connaissances. Notre pays, comparé à nos voisins européens, est l’un de ceux qui dépensent le plus pour l’éducation des enfants, avec en retour un résultat qui n’est pas à la hauteur des moyens consacrés. Désormais, il faut passer à l’action : instaurer au plus vite la semaine de quatre jours et demi, et deux semaines supplémentaires de cours par an. Je vous laisse juge du moment pour le faire, monsieur le ministre. En revanche, et c’est là un élément crucial de la réussite scolaire, il faut que l’enfant, en dehors de l’école, puisse évoluer dans un contexte propre à développer ses facultés sportives, intellectuelles, sa sensibilité artistique ou musicale. Bref, l’apprentissage du savoir-vivre et du savoir-faire doit être considéré globalement. Cela pourrait se passer soit dans des ateliers récréatifs, au sein des établissements, soit dans des centres de loisirs ou autres structures. Il est indispensable qu’une offre accessible à tous existe, pour chacun. Sans cela, il se produira une rupture très nette d’égalité face à la réussite scolaire entre les enfants délaissés après l’école et ceux qui peuvent s’épanouir par des activités au sein de leur famille. Il y a donc beaucoup à attendre de la réforme des rythmes scolaires, et surtout des activités périscolaires. La réussite est aussi fonction de l’adéquation entre le projet pédagogique d’un établissement ou d’une classe et le niveau des élèves. Certains établissements se situent dans des villes ou des quartiers dans lesquels les familles connaissent de grandes difficultés sociales. Il est nécessaire de rendre plus lisibles les différents réseaux de l’éducation prioritaire, qu’il s’agisse du programme Écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite, aussi appelé Éclair, des réseaux « ambition réussite », des réseaux de réussite scolaire,… Les stages passerelles et les stages de remise à niveau au lycée constituent d’ores et déjà des mesures cohérentes pour proposer aux élèves un complément d’apprentissage. Il faut s’en inspirer, mais aller certainement plus loin encore, pour une offre plus individualisée. Enfin, un cadre d’apprentissage plus serein, voilà une condition de la réussite des élèves. On constate d’ailleurs, a contrario, que de nombreux jeunes en grande difficulté scolaire évoluent dans un cadre familial qui n’est pas apaisé. La violence verbale est très répandue dans nos établissements, même dans les petites classes. De même, les actes racistes ou antisémites sont courants, et les agressions de professeurs par des élèves ou des parents d’élèves atteignent un niveau et une gravité inquiétants. L’actualité, hélas ! ne fait que confirmer ce constat. Il faut être intransigeant sur la question de la discipline, condition indispensable à l’apprentissage et à la réussite. Cela n’est pas une question de postes supplémentaires, mais seulement d’autorité. Il me semble qu’il ne relève pas du législateur de répondre à cette question. J’appelle votre attention, monsieur le ministre, sur l’urgence et la nécessité d’agir, par exemple par voie de circulaire, dans le domaine de la discipline à l’école. Avant de conclure ma contribution au débat, je voudrais souligner une nouvelle fois que ce ne sont pas seulement les chiffres de la déscolarisation qui m’inquiètent, mais ses causes. Elles sont propres à chaque territoire, chaque établissement, chaque classe. C’est pourquoi il me semble illusoire de penser que l’on peut décréter, de manière générale et impersonnelle, une recette miracle de la réussite scolaire. Si elle existait, je pense que nous l’aurions déjà appliquée ! Au contraire, il faut assumer le choix d’engager des politiques différenciées entre les territoires et les établissements. Il faut décentraliser la question scolaire, en somme. Faisons confiance à nos recteurs, aux directeurs d’établissement et aux professeurs. Donnons-leur l’autonomie et les moyens nécessaires pour apporter les réponses adéquates à l’amélioration des conditions de l’apprentissage scolaire. Nombre de travaux et rapports ont été réalisés ces dernières années à l’occasion de diverses missions, dans le cadre législatif ou institutionnel. Je pense au dernier rapport de l’OCDE de septembre 2012, aux travaux du Haut Conseil de l’éducation. L’un des derniers exemples en est la concertation « Refondons l’école de la République » que vous avez initiée, monsieur le ministre, et à laquelle je participe. Mais il y en a tant : sur la régulation de la carte scolaire – rapport auquel j’ai collaboré également –, le métier d’enseignant, l’échec à l’école, la violence à l’école, le sport à l’école et même la parentalité ! Comprenez-moi bien, je ne souhaite en aucun cas remettre en cause la nécessité de ces travaux, mais je pense que le temps de la réflexion doit laisser place aujourd’hui à celui de l’action. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)