LES COMMUNIQUÉS

Hervé Marseille 10/04/2019

«Débat au Sénat - Intervention du Président H. Marseille - GRAND DÉBAT NATIONAL»

(Seul le prononcé fait foi)

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Mes chers Collègues,

La République est fragile.

Comment 3000 casseurs anarchistes, gilets jaunes radicalisés, identitaires extrémistes ont-ils pu saccager, samedi après samedi, Paris, Toulouse, Bordeaux ? Comment quelques milliers d’individus peuvent-ils bafouer une démocratie de 67 millions d’habitants ? Comment en sommes- nous arrivés à une inversion des valeurs qui voit la violence des manifestants régulièrement « comprise » et les forces de l’ordre systématiquement soupçonnées ?

Ces questions ne figuraient pas à l’agenda du Grand Débat.

Elles auraient pourtant constitué un point d’entrée stimulant pour saisir les maux de notre société. Ce Grand Débat ausculte un malaise, une colère venus de loin et du plus profond de nos territoires, dont le mouvement initial des Gilets jaunes a été un impitoyable et juste révélateur.

Aura-t-il eu une utilité s’il n’aborde pas aussi quelques questions mises sous le tapis depuis 50 ans ? Par exemple sur le respect dû à autrui, sur le sens de l’autorité, sur la prééminence de l’intérêt général ? Servira-t-il à quelque chose si la montée de la violence, sous toutes ses formes, n’est pas traitée ? Servira-t-il à quelque chose si le délitement du civisme et de la responsabilité individuelle n’est pas abordé ?

Servira-t-il à quelque chose si la norme, le traité et le juge asphyxient la volonté politique ?

Le Gouvernement nous dit que le Grand Débat est un grand succès : c’est vrai. Mais notre ressenti est plus nuancé.

Les manifestants sincères de novembre ont rarement rejoint les salles de réunion. Quant aux manifestants « professionnels », ils n’ont évidemment pas joué le jeu d’un dialogue qu’ils méprisent. Ils nous le disent pavé à la main.

Le Gouvernement se félicite de la participation au Grand Débat. A l’évidence, je remercie à mon tour les dizaines de milliers de Français qui ont fait la démarche d’échanger et de s’écouter. Je remercie les milliers d’élus qui ont organisé et animé ces réunions. Ils ont rendu possible une photographie de l’opinion à un moment important.

Cette photographie est cependant partielle. Partielle car ces contributeurs ne constituent pas un échantillon représentatif.

Toutes les classes d’âge, toutes les classes sociales, tous les types de territoires n’étaient pas également présents dans les salles de réunion ou dans les contributions, loin s’en faut. Il en résulte ainsi des idées parfois innovantes, stimulantes. Elles n’ont pas néanmoins la légitimité à s’imposer en tant qu’opinions dominantes. Des Français se sont exprimé. Tous les Français, non !

La légitimité démocratique est à l’Elysée, à l’Assemblée, ici au Sénat, et dans les mairies.

Elle peut être dans des référendums ou des consultations populaires plus nombreux et plus ouverts que nous appelons de nos vœux, elle n’est nulle part ailleurs. Le droit de pétition, oui. Le mandat impératif, non.

La photographie du Grand Débat est également partiale. Les sujets qui avaient été sélectionnés sont fondamentaux. Le Gouvernement a eu raison de provoquer une réflexion collective autour d’eux. Mais comment justifier que d’autres aient été traités ?

Quasiment aucune question sur notre rapport à l’Europe, sur l’innovation, sur l’impact des nouvelles technologies, sur l’immigration et l’intégration, sur le fonctionnement de la Justice, sur la sécurité, sur le terrorisme. Ces sujets sont-ils moins importants ?

Je note d’ailleurs qu’il ressort de la consultation les préoccupations que les sénateurs, ancrés dans la terre fertile de leurs départements, signalaient de longue date : l’accès aux soins, à la formation, à internet, à la mobilité. Pour autant, les élites vilipendées, auxquelles certains Français nous associent, auraient mauvaise grâce de pointer les seules lacunes ou contradictions.

Car si un élément ressort du Débat, c’est notre perte de crédibilité, notre indispensable introspection et le besoin d’agir différemment. A ce titre, 2 aspects de la crise sociale de l’automne restent cruciaux : • les sentiments de mépris et d’abandon, particulièrement ressentis dans les villes moyennes et nos campagnes ; • le sentiment d’injustice à l’égard des efforts à fournir pour faire avancer le lourd char de l’Etat : « pourquoi suis-je autant ponctionné ? », « quel sens cet effort a-t-il ? »

Le manque de considération. Voilà un des maux de notre époque.

Il est façonné par la conviction que les élites parisiennes prennent des décisions déconnectées. Notre Groupe est historiquement convaincu des bienfaits de la logique de subsidiarité. Cela s’appelle décentraliser et différencier. Décentraliser parce que plus la chaîne d’analyse, de décision et d’évaluation est courte, plus la probabilité que l’action publique soit appropriée est élevée.

Nous appelons ainsi à un acte III de la décentralisation et à un terme, enfin, aux doublons insupportables. A une « clarification » et à de « vrais choix » comme dirait le Président de la République.Mais décentraliser ou déconcentrer ne sont plus suffisants. Il faut ouvrir des espaces, ce que l’on appelle la différenciation. Il ne suffit plus de dire que telle collectivité gérerait mieux que l’Etat telle politique publique. Il faut lui donner la capacité d’adapter cette politique à son territoire.

On ne structure pas nécessairement de la même façon les dispositifs d’insertion dans la Creuse et dans le Val-de-Marne. Nous sommes nombreux à être ouverts à ce bon sens.

Si ce n’est que nous allons vite ouvrir un débat très français : sera-t-il juste que l’allocation de parent isolé soit de 20 euros moins élevée en Lozère qu’en Essonne ? Sera-t-il juste qu’un ascenseur soit obligatoire dans les immeubles de 3 étages en région parisienne quand il ne le sera pas en province ?

Nous devons pouvoir assumer ces disparités, dès lors qu’elles sont encadrées par le législateur et le souci d’unité républicaine.

Pour notre part, nous faisons confiance aux élus locaux et nous appuierons cette orientation.Mais renforcer les marges d’action des élus locaux suppose que les citoyens puissent mesurer l’efficacité de leurs actions. L’article 72 de notre Constitution doit ainsi être retravaillé en profondeur. Les élus doivent s’appuyer sur une réelle autonomie financière. Les citoyens doivent être confrontés à une fiscalité redevenue simple et lisible.

L’injustice est le maître-mot depuis décembre. Il ne l’était pas en novembre, lorsqu’il s’agissait de dénoncer de nouvelles taxes. Le logiciel des 40 dernières années s’est remis en marche et a souvent transformé le débat sur le trop-plein d’imposition en débat sur l’injustice fiscale, permettant ainsi de ne pas s’interroger sur l’efficacité de la dépense publique à la française, pourtant triste championne du monde. Dans notre pays passionné d’égalité, le sentiment d’injustice est omniprésent et facile à alimenter.

Cela ne doit pas empêcher de dénoncer les incohérences qui minent notre contrat social.

Il est évident que certaines entreprises ne paient pas leur dû.

Il est évident que certaines optimisations fiscales n’ont guère de légitimité.

Il est évident que la fraude sociale est trop importante.

Il est évident que la confusion règne entre assistance et assurance.

Il est évident que la lenteur de la Justice alimente le sentiment d’impunité.

Se focaliser sur les seules inégalités est une voie sans issue. Notre énergie gagnerait à se concentrer simultanément sur deux dimensions : créer de la richesse ; faire mieux fonctionner les services publics. En créant de la richesse, nous nous dotons de la capacité à réformer dans le sens d’une plus grande justice.

Dans notre pays attaché aux positions acquises, seules des évolutions au temps long avec des sorties par le haut sont réalistes. Elles ont un coût. Seules des ressources nouvelles peuvent les financer. Pour cela, il faut de la croissance.

Le moment venu, chacun devra faire des propositions précises.

Notre Groupe a ainsi d’ores et déjà apporté sa contribution en matière fiscale, contribution qui répond d’ailleurs à l’exaspération des Français. Des services publics ambitieux sont, par ailleurs, le meilleur outil de lutte contre les inégalités. Savoir lire et compter dès l’âge de 6 ans, être protégé des délinquants où que l’on habite, être vite et bien soigné à l’hôpital, sont les meilleurs services à rendre aux plus démunis. Encore faut-il que ces services soient performants.

Nous demandons ainsi au gouvernement de se concentrer sur la poursuite de réformes maintes fois anéanties par conservatisme.

Cela sera beaucoup plus efficace !

Monsieur le Premier ministre, les conditions de l’élection présidentielle nous ont privés d’un réel débat. Ce débat, nous venons de l’avoir parce qu’un débat vaut mieux qu’une émeute, c’est évident. Mais un débat n’est qu’un outil d’aide à la décision.Après la restitution, vient le moment des choix. Les institutions républicaines doivent reprendre leur place. La rivière doit rentrer dans son lit. Il appartient aujourd’hui au Président de la République et à votre gouvernement d’exprimer ses conclusions.

C’est ici au Parlement que le débat se prolongera et que les propositions se discuterons. Monsieur le Premier ministre, nous vous attendons.